La Luxembourgeoise Julie Conrad s’est fait une bien jolie place sur la scène du design européen. Sa passion, elle la voue aux matériaux, qui lui insuffle matière à créer, à l’instar de sa collection UNPAPER qui puisait sa singularité dans l’utilisation du Tyvek, et qui a donné lieu à une exposition qui a fait le tour du monde. Humble, elle ne cesse pourtant de repenser sa profession de designer. Nous l’avons rencontrée.

Quel parcours de formation avez-vous suivi ?

En 2012, j’ai décroché un Master en Art Design à Créapôle (Paris) avec Félicitations du jury. Puis, j’ai enchaîné avec différents stages, chez Ferrero à Arlon, chez Acer à Paris, chez MIO à Philadelphie et Designtree en Nouvelle-Zélande. Je suis revenue au Grand-Duché en 2013, où je me suis installée en tant que product designer indépendante. De la scénographie à l’ameublement, je travaille sur un large éventail de projets, tant pour des entreprises que pour des personnes privées.

Pouvez-vous définir votre travail ?

Les matériaux sont clairement au centre de ma réflexion et se présentent comme le point de départ de tout projet. Au commencement, l’inspiration me vient d’une caractéristique matérielle. Puis, en combinant différentes méthodes de production et en travaillant sur la finalité des objets, j’aspire à mettre en avant de nouvelles facettes d’utilité et d’esthétique. Pour les produits, le design scandinave et ses lignes claires, ainsi que les pliages, m’inspirent souvent.

La création passe par toujours en premier lieu la manipulation de matériaux et une analyse de l’utilisation qu’en fera le consommateur. Je veux avant tout que mes produits racontent une histoire, qu’on ait un moment de surprise et d’enchantement en les découvrant. Et tous mes projets sont pensés et fabriqués au Luxembourg. C’est fondamental, pour moi.

Quelles sont vos influences ?

Je suis les tendances en allant aux foires et design weeks, à Paris et à Milan, par exemple. J’aime beaucoup le design simple et efficace, mais avec toujours ce petit truc en plus, un clin d’œil marrant ou une fonctionnalité cachée. Cette année, au Salone del Mobile, c’est encore la maison d’édition Petite Friture qui m’a fait rêver avec leur stand coloré et décalé. Dans mes designers préférés on peut compter Patricia Urquiola, Constance Guisset et Raw Edges.

Mais tout peut faire germer une idée. J’ai sans cesse besoin de toucher les choses, les matières. Ce sont des détails que j’observe qui font jaillir en moins l’inspiration d’un nouveau produit ou à des solutions dans les projets sur lesquels je suis en train de travailler.

Comment choisissez-vous vos projets ?

Il y a d’un côté le travail pour les commanditaires, et, de l’autre, le développement de mes propres collections. Pour les clients, j’aime tout ce qui touche le milieu culturel, théâtre, danse mais également les start-up et petites entreprises et producteurs locaux. Ceci m’amène à faire des projets variés avec des personnes enthousiastes.

J’aimerais bien consacrer davantage de temps à mes propres collections, mais c’est souvent le temps et le budget de départ qui se font rares. Pour ma collection en tyvek, c’est la matière qui m’a fascinée. Je compte continuer à travailler avec cette matière, mais davantage à l’occasion de workshops. Dans quelques mois, je vais lancer une nouvelle ligne de produits, développés en collaboration avec une association et pour laquelle la matière a encore été le point de départ du processus de création, également.

Vous êtes graphiste, d’une part, et designer produit de l’autre. Un designer se doit-il d’être multi-tâches au 21e siècle ?

J’ai toujours été entre ces deux disciplines, et cela me permet de faire des projets de différentes ampleurs. Le développement d’un produit peut facilement m’occuper pendant des mois avant que je puisse en parler, et j’ai besoin de matière et d’outillage pour faire des prototypes…

En ce qui concerne le graphisme, une tablette graphique et un ordinateur peuvent suffire. En outre, les deux disciplines se croisent dans bon nombre de mes projets (packagings, graphisme et illustrations utilisés dans les produits,…)

En quoi le designer participe-t-il d’une nouvelle façon de concevoir le monde et la société ?

L’une de mes professeurs d’université disait que le travail de designer se passe tout le temps, jour et nuit, et que le plus important c’était de toujours avoir les yeux grands ouverts, d’absorber tout ce qui nous entoure et de tout analyser. En tant que designer, on cherche à tout mettre en question et à l’améliorer en connectant les gens et les disciplines et en gardant une vue d’ensemble.

Selon vous, de quelle façon le design va-t-il impacter l’économie au Luxembourg ?

Les industries créatives amènent de nouveaux modes de vie et de travail. Les petites entreprises innovantes font parler d’elles, aussi à l’étranger

Tout le monde peut-il se revendiquer designer ?

Pour maîtriser une tâche et devenir expert, il n’y a pas de raccourci. En tant que designer, j’ai appris les bases grâce à mes professeurs et mentors, et je continue d’apprendre et de me cultiver tous les jours. À mes yeux, on peut apprécier le design sans être designer, de la même manière que je me permets de juger le gout d’un croissant et de faire de la pâtisserie chez moi. Mais cela ne fait pas de moi un boulanger, pour autant (sourire).

Le designer est-il devenu un entrepreneur ?

Pour moi, cela a toujours fait partie du travail d’un designer de se positionner dans la réalité du marché et de la société et donc d’entreprendre.

L’avenir du design passera par le digital. Comment se matérialise-t-il dans le design produit ?

Le travail, ainsi que les présentations, se font de plus en plus sur ordinateur et la conception dans des programmes 3D remplace souvent le prototype fabriqué à la main. Je ne vois pas énormément de changements, puisque mon entreprise est encore jeune et que j’ai fini mes études il y a quelques années seulement. Finalement, j’ai toujours jonglé entre travail à la main et travail à l’ordinateur.

Pour le consommateur, il y aura toujours des produits à concevoir – notre avatar ne remplacera pas notre corps en chair et en os d’ici demain !

Un projet dont vous êtes le plus fière, et pourquoi ?

Le paravent de ma collection UNPAPER, conçu tout au début de mon activité, mais qui fait de plus en plus parler de lui. Il a intégré une exposition qui fait le tour du monde pendant quatre ans. La première étape était Milan et on peut découvrir le parcours sur le site www.lefrenchdesign.org. Le lancement de cette collection a été un challenge mais me motive à continuer dans le design.