Grande, stylée, quelque peu impressionnante et avec un caractère affirmé, la Messine Julie Becker n’en est pas moins très abordable. À la tête de la Bourse de Luxembourg après être passée par la BIL et la Banque centrale, cette pionnière de la finance verte, qui a vite compris l’importance de limiter le réchauffement climatique et qui soutient la gender finance, continue de faire bouger les lignes dans un secteur encore très masculin. Mi-février, à la Bourse, celle qui est aujourd’hui membre du Conseil d’Administration de la Fédération mondiale des Bourses partage avec nous expériences, convictions et passions.
Rédaction : Karine Sitarz
Quelques mots sur votre jeunesse ?
Née à Metz, aînée de quatre enfants, j’ai grandi en Lorraine et j’ai passé toutes mes vacances dans le Sud-Ouest de la France. J’ai fait beaucoup de piano et j’aimais la natation, et si j’ai choisi d’étudier le droit c’est que je viens d’une lignée de juristes qui m’ont appris qu’il mène à tout.
Vous étudiez le droit mais rejoignez la place financière. Pourquoi ?
J’ai étudié à l’Université de Nancy et suivi un Erasmus à Westminster à Londres. Pour mon mémoire de DEA, j’ai eu comme maître André Prüm le doyen de la faculté de droit de Luxembourg. À l’époque, la BIL sollicitait les jeunes étudiants qui sortaient de la fac et, alors que je démarrais un doctorat, j’ai saisi l’opportunité.
Vous n’avez plus quitté le secteur bancaire mais avez varié les expériences…
À la BIL, j’ai, à ma grande surprise, commencé en salle des marchés, à l’origination et à la syndication de la dette obligataire, avant de découvrir d’autres métiers. J’y suis restée dix ans puis j’ai rejoint la Banque centrale du Luxembourg avant la Bourse en 2013.
En 2016, vous créez Luxembourg Green Exchange qui a valu à la Bourse une reconnaissance internationale…
L’idée était de donner du sens à notre mission d’opérateur de marché mais surtout à notre rôle de plateforme de rencontres entre investisseurs et émetteurs. Notre institution avait un rôle à jouer dans l’orientation des flux de capitaux vers des projets qui ont un impact environnemental ou social positif. On a créé la Bourse verte en septembre 2016, un an après que les Nations Unies aient adopté l’agenda 2030 et les 17 Objectifs de Développement Durable.
Presque 10 ans plus tard, quel en est le bilan ?
C’est un projet extrêmement motivant. En 2020, nous avons été reconnus par les Nations Unies pour notre action en faveur du climat. C’était une reconnaissance qui a contribué à renforcer l’engagement de tous. On a continué à innover. En 2016 on parlait surtout des green bonds, 6 mois plus tard on a étendu la plateforme à des obligations sociales puis liées à la durabilité.
Et qu’en est-il de la gender finance ?
Dernier nés des produits de la plateforme, les gender-focused bonds sont des obligations qui visent l’autonomisation des femmes. Suite à un accord signé avec l’ONU Femmes, on s’est engagés en 2022 à travers un plan d’actions concrètes pour donner de la visibilité à ces obligations qui financent notamment des projets lancés par des femmes entrepreneures qui ont du mal à accéder aux services financiers. La Bourse est par ailleurs cofondatrice, avec d’autres institutions de la Place, de la Luxembourg Women in Finance Charter, initiative lancée sous le haut patronage de Yuriko Backes, alors ministre des Finances, qui vise la parité et une meilleure intégration des femmes dans le secteur financier.
Avez-vous quelques chiffres à partager ?
Ils seront révélés à l’occasion de la Journée internationale des femmes, lors d’une cérémonie Ring the Bell organisée à la Bourse. Il s’agira de faire le bilan après une première année d’implémentation des plans d’actions, sachant qu’ils ont comme horizon 2028. Les résultats sont encourageants.
On imagine votre poste plutôt masculin, avez-vous eu des difficultés en tant que femme ?
Robert Scharfe, notre CEO précédent, m’a accompagnée et m’a encouragée. Il n’y a pas eu d’obstacles spécifiques alors que j’avais dès 2015 rejoint le Comité de Direction de la Bourse et que j’étais Deputy CEO depuis 2019. En revanche, j’en ai rencontrés quand j’ai commencé ma carrière et, aujourd’hui encore dans le secteur, on observe malheureusement toujours des différences de traitement, on entend des remarques misogynes et des propos déplacés.
En 2022, vous décrochez le titre de « décideur économique le plus influent du Luxembourg », une belle reconnaissance !
Oh oui ! À travers cette reconnaissance, c’est l’importance de la finance durable qui a été consacrée, c’est aussi un hommage aux femmes et à leur rôle dans la société. C’était très encourageant de savoir que ces thèmes étaient chers au Luxembourg.
Et qu’en est-il de votre intervention en 2023 à l’ONU ?
C’est une expérience unique dans une vie de pouvoir partager une conviction forte face à des chefs d’État et de gouvernements et de disposer d’un tel tremplin pour adresser un appel à d’autres Bourses à travailler ensemble.
D’autres engagements vous mobilisent, à l’UNI, chez IMS…
Oui, en tant que CEO, je représente la Bourse aux CA de l’ABBL, l’ALFI ou LuxCMA dont je suis Présidente. Par ailleurs, j’ai été nommée au Conseil de gouvernance de l’Université et, à titre personnel, au sein d’IMS Luxembourg pour défendre la diversité et la durabilité.
Quels sont vos projets ?
Je suis alignée avec ce que je fais aujourd’hui, j’ai besoin de continuer à donner du sens à mes actions et à mes engagements. Je pense qu’il y a encore énormément d’inégalités et d’injustices et des vrais défis auxquels on peut tous contribuer.
Questions à la volée
- UN LIVRE DE CHEVET :
En ce moment, Madelaine avant l’aube de Sandrine Collette, le dernier prix Goncourt des lycéens, que ma mère m’a offert.
- UNE PASSION :
Je n’ai malheureusement pas beaucoup de temps mais j’adore skier et cuisiner.
- UNE DESTINATION :
Le Venezuela, découvert il y a 25 ans, lors de la descente du Río Caura dans la forêt amazonienne à la rencontre de peuples reculés, un voyage qui m’a marquée à vie.
Cette interview a été initialement publiée dans le Femmes Magazine numéro 264 de mars 2025.