Le 8 mars, journée internationale des droits des femmes et journée de la grève des femmes au Luxembourg approche. Nous avons rencontré Jessica Lopes, assistante sociale et membre de la Jif, afin d’en apprendre plus sur les enjeux de la grève. 

Pour continuer notre série de portraits de femmes inspirantes et engagées à l’occasion du mois des femmes, nous avons rencontré Jessica Lopes, assistante sociale à l’Asti (association de soutien envers les travailleurs immigrés) et  membre actif de la plateforme JIF (Journée Internationale des Femmes). Elle nous raconte son parcours, son travail en tant qu’assistante sociale et bénévole à la Jif et la situation des femmes actuellement. 

Quel est votre parcours ?

« Je suis née au Luxembourg d’une famille migrante ouvrière. Mon père est portugais, ma mère est italienne. J’ai fait des études de sciences sociales. Ensuite, j’ai travaillé pendant 5 ans au Portugal dans une organisation de soutien aux migrants. En même temps, j’ai fait un master en sociologie pour lequel j’ai emménagé en Inde, à New Delhi pendant un an et demi. Ensuite, je suis revenue au Luxembourg en 2019 où j’ai travaillé pendant un an et demi à l’OGBL, qui est le premier syndicat au Luxembourg dans le secteur du nettoyage. Et depuis janvier, je suis à l’ASTI en tant qu’assistante sociale où j’essaie de conseiller et d’orienter les personnes sans papier au Luxembourg. »

©Jessica Lopes

Comment voyez-vous la situation de la femme au Luxembourg ? 

« Je crois qu’au Luxembourg comme partout, la société est encore imprégnée par un modèle patriarcal et hétéro normatif. Il y a des inégalités qui persistent et qui sont normalisées. Par exemple, quand on dit au Luxembourg que l’écart salarial est de 5,5%, il y a encore des personnes qui vont dire que ce n’est pas énorme. Alors que rien que le fait qu’il existe, c’est scandaleux. Je crois que la société transmet vraiment le message sur la façon dont les rôles doivent être distribués au sein d’une famille par notre législation.

Il y a encore énormément d’inégalités qui touchent aussi les femmes migrantes ou frontalières qui font quand même la grande majorité de la classe ouvrière au Luxembourg. Quand vous regardez les métiers non qualifiés, que ce soit le nettoyage, l’horeca ou autre, ce sont majoritairement des femmes qui n’ont pas de droit de vote. Elles n’ont politiquement aucune représentation au Luxembourg, ce qui est dramatique. Et pour moi, comme pour la Jif, c’est important qu’il y ait un engagement politique pour ses femmes qui n’ont pas le moyen de se faire entendre. Aussi pour les personnes homosexuelles avec le congé de paternité. On aimerait créer un congé qui prend en compte toutes les parentalités. Ce sont encore les plateformes féministes qui doivent rappeler au gouvernement d’avoir un langage un peu plus inclusif. Et ça fait partie des revendications que la Jif considère comme facilement applicables. »

Vous travaillez aussi à l’ASTI en plus d’être membre de la JIF…

« J’en profite pour parler de toutes les intersectionnalités qui existent chez une femme sans papier par exemple. Encore hier, une femme est venue au guichet, une femme qui a eu un mariage forcé dans son pays d’origine, un pays africain. Ensuite, elle a emménagé en Italie avec ce mari qu’elle n’avait pas vraiment connu avant et leur fils qu’ils ont eu entre temps. Elle était victime de violences domestiques, elle a demandé un retour qui n’a pas été accordé parce que le père n’a pas donné d’autorisation pour que le mineur voyage sans lui. Elle s’est enfuie et se retrouve au Luxembourg sans papier. Il n’y a pas de solution pour les femmes comme ça. Il y a un réel manque de solidarité et de représentativité dans la politique au Luxembourg.

La présence de l’ASTI dans la plateforme JIF est importante pour montrer ces situations complètement dans l’ombre. L’idée c’est d’avoir une plateforme inclusive et qui touche un peu à toutes les problématiques autour des femmes. Les femmes ouvrières, évidemment, ont priorité car c’est celles qui d’habitude ont le moins de voix. Mais de toutes les femmes aussi. Le travail du care, c’est quelque chose qui touche toutes les femmes peu importe leur origine ou leur classe sociale. Se dire que l’égalité est plus ou moins atteinte en Europe est faux. Ensuite, rien n’est jamais vraiment acquis, on peut toujours retourner en arrière. C’est ce qui se passe dans d’autres pays comme en Pologne où les femmes sont en train de se faire enlever le droit d’avortement qu’elles avaient avant. »

©Jessica Lopes

Vous travaillez aussi à l’international ?

« Nous avons chaque année plusieurs rencontres ouvertes avec des invités internationaux. Argentine, Andorre, Suisse, Portugal, Angleterre, un peu de partout pour discuter de la manière dont ça se passe chez eux. En ce moment, les féministes en Andorre sont persécutées et vont être jugées ce mois-ci pour avoir mal parlé de leur gouvernement parce qu’il n’y a pas de droit d’avortement. Elles risquent jusqu’à 4 ans de prison. Là, la Jif va publiquement se solidariser le jour du jugement. C’est important cette entraide internationale pour souligner l’importance d’être solidaire en tant que femmes dans cette lutte commune. »

Quelles ont été les répercussions de la première grève ?

« Malheureusement, le « lock down » total est arrivé à peine une semaine après notre grève des femmes. La grève s’est très bien passée, il y avait énormément d’adhésions et une très bonne couverture médiatique. Par contre, c’est vrai qu’une pandémie mondiale, une première, ça nous a un peu volé la vedette. Cette première grève et ses revendications pour le travail du care étaient quand même importantes parce que cette pandémie n’a fait que souligner tout ce que nous avons dit. Que tous ces métiers exercés par des femmes sont essentiels. Dans le secteur santé et social, il y a 76% de femmes. Dans le secteur du nettoyage, il y a 83% de femmes. Ce sont les métiers qui n’ont jamais arrêté, qui n’ont pas eu de « lock down ». Cette pandémie n’a fait que nous donner raison finalement.»

Quelles femmes vous inspirent ?

« Je vais répondre avec un méga cliché, mais je vais commencer par ma maman. Elle est elle-même migrante, serveuse, mère célibataire, famille monoparentale avec deux enfants. Donc évidemment c’était ma plus grande inspiration. Et c’est vraiment ce qui m’a donné depuis petite cette force de me dire que les femmes sont tellement fortes et incroyables et c’est injuste que ce ne soit pas compris par la société. Sinon, j’aime beaucoup lire certaines femmes. Je pense notamment à Angela Davis, je la trouve très intéressante. C’est aussi une femme qui cumule les intersections : une femme noire, communiste, homosexuelle, une femme qui a été emprisonnée… Je crois que c’est la femme qui m’inspire le plus en ce moment.

Mais bien sûr, toutes les femmes dans l’histoire qui luttent, mais aussi toutes les femmes de la Jif m’inspirent tous les jours. La Jif est non seulement un projet qui me tient à cœur pour mes convictions, mais c’est aussi tellement bon d’être entourée par des femmes inspirantes, motivées qui elles aussi luttent pour que les choses changent. Chacune d’entre nous a son expertise, donc on apprend beaucoup ensemble. Cette sororité, le fait d’être solidaires entre femmes, ça fait vraiment du bien. Cette compétition entre femmes est un mythe patriarcal. Nous pouvons tellement nous donner de la force et c’est ça qui m’inspire. »

Que voudriez-vous rappeler pour la journée internationale des droits des femmes ?

« Je dirais notre slogan. Participez à la marche pour un partage égalitaire du travail du care. C’est vraiment notre principal message. »

©Jessica Lopes
Texte par Marjorie Laforge

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