Jouer du vrai et du faux est la règle chez les faussaires et associés. Ces métiers difficiles dans les crimes aux biens culturels se portent bien comme le montre la hausse des saisies de la police spécialisée italienne. Le pillage culturel attire pléthore de collectionneurs peu scrupuleux et corrompus.

Rédaction : Cadfael

Les faux : un marché qui se porte bien

Selon l’UNESCO, l’Italie est le pays européen possédant l’héritage historique et artistique le plus dense d’Europe. Rien d’étonnant, donc, qu’à la mi-novembre de l’année dernière, la police italienne ait invité à une exposition d’un genre un peu particulier. Dans un palazzo de Pise, on pouvait admirer les résultats de l’opération Cariatide : 450 œuvres saisies par l’unité spécialisée dans la protection des biens culturels.

Toutes étaient plus authentiques les unes que les autres et pourtant contrefaites. Parmi les 2 100 pièces récoltées par les militaires lors de l’opération Cariatide, on trouvait des Klimt, Picasso, Warhol, Banksy, Miró, Arman et bien d’autres, une illustration de ce qui se vend bien. L’opération « Cariatide » tirait son nom d’une des œuvres parmi les 200 saisies à Pise en mars 2023 chez un entrepreneur : un faux attribué à Modigliani.

L’enquête internationale, coordonnée par Eurojust, l’Agence de l’Union européenne pour la coopération judiciaire en matière pénale, basée à La Haye, a révélé un réseau aux ramifications bien rodées, implanté en Espagne, en France, en Italie et en Belgique. Six officines de falsification, dont trois en Italie, ont permis la découverte de 1 000 faux et de 450 certificats d’authenticité. Ceux-ci devaient être vendus par le biais de maisons de ventes en ligne complices.

Parmi les 36 personnes inculpées figurent six faussaires, des collaborateurs de maisons de ventes et des intermédiaires. Selon la procureure de Pise, les œuvres confisquées représentent une valeur marchande de plus de 200 millions d’euros sur le marché légal.

Une unité de combat spécialisée

La Constitution italienne protège la valorisation et la préservation du patrimoine historique, considérées comme l’une des bases fondamentales de la République. Le 3 mai 1969 fut créée l’unité des carabinieri pour la protection du patrimoine culturel (Commando Carabinieri Tutela Patrimonio Culturale – TPC), la première d’Europe en la matière, équivalente en France à l’Office Central de Lutte contre le Trafic des Biens Culturels (OCBC), fondé en 1975.

Parmi les succès de cette unité aux moyens sophistiqués, on soulignera l’affaire Giacomo Medici, du nom d’un antiquaire établi à Rome depuis les années soixante. Son réseau pillait, trafiquait et volait à grande échelle. Allant des fouilles illicites au négoce d’œuvres d’art ancien et grâce à de faux certificats, des milliers de pièces de valeur inestimable de l’héritage culturel grec et italien ont été monnayées. Un entrepôt d’œuvres volées avait même été installé dans le port franc de Genève.

En 2005, les suites de l’affaire Medici permettront d’inculper d’autres trafiquants de haut vol, dont une curatrice du Musée Getty de Los Angeles ainsi qu’un antiquaire américain à Paris. Medici sera condamné en 2004 à dix ans de prison et à une amende de dix millions d’euros.

En 2016, dans le cadre d’une invraisemblable affaire impliquant un associé de Medici, Robert Symes, de nouvelles perquisitions seront effectuées dans le port franc de Genève. Elles déboucheront sur la découverte de 17 000 antiquités en provenance de sites étrusques et romains, dernier vestige des anciens réseaux Medici, estimées à 30 millions d’euros.

Pour la petite histoire, on notera que la section TPC de Bari aura permis, en 2022, la récupération d’une œuvre d’Artemisia Gentileschi, la première femme à être acceptée à l’Académie des Beaux-Arts de Florence au XVIIᵉ siècle. Exportée grâce à de faux certificats, il aura fallu deux ans d’enquête pour qu’elle puisse être récupérée à Vienne. Estimée à 2 millions d’euros, elle allait être vendue aux enchères.

Enfin, on notera que le 18 février dernier, la presse italienne annonçait la découverte à Rome d’un atelier de faux tableaux spécialisé dans les Rembrandt et les Picasso.

Les mafias qui aiment l’art

La mafia compte des amateurs d’art. Des œuvres authentiques, acquises dans le cadre d’opérations de blanchiment ou échangées lors de trafics d’armes ou de drogues, étaient exposées en décembre dernier à Milan. On peut les voir jusqu’au 27 avril à Reggio de Calabre. D’authentiques Warhol, Christo et De Chirico, saisis en 2016 lors de l’arrestation d’un chef de la ’Ndrangheta, voisinent avec une soixantaine d’autres œuvres saisies lors du démantèlement d’un réseau international de blanchiment d’argent.

Selon les dossiers du FBI, la mafia italienne serait responsable du kidnapping d’un Caravage à Palerme en 1969. Elle aurait fait parvenir un morceau découpé du tableau à l’Église catholique afin de négocier un arrangement pour le récupérer. Le Caravage aurait longtemps été exposé lors des réunions de chefs mafieux siciliens pour asseoir leur prestige.

Dans un autre style, les yakuzas et la mafia corse auraient été mêlés au vol ainsi qu’à la tentative de revente d’une œuvre de Monet, dérobée au Musée Marmottan en 1980 et retrouvée en 1990.

Dans cette sphère criminelle en expansion, le bilan de l’unité des carabinieri est impressionnant : en 2023, ils ont récupéré plus de 105 000 œuvres d’art, contre 80 500 l’année précédente, pour une valeur totale de plus de 265 millions d’euros.

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