Lancée en septembre 2019, quelques mois seulement avant le début de la crise sanitaire, l’application Clear Fashion permet au public de connaître l’impact sur l’environnement ou la santé d’un vêtement avant de l’acheter. Marguerite Dorangeon, co-fondatrice, revient sur la naissance de l’application, ainsi que sur les fondements de sa méthode, et décrypte les changements de comportements observés ces dernières années, de la part des consommateurs comme des marques de mode.

Comment est née l’aventure Clear Fashion ?

Nous avons créé Clear Fashion en partant du constat que l’industrie du textile est l’une des plus polluantes au monde, et que le secteur doit aujourd’hui se réinventer. C’est une réalité qui a été reconnue par les acteurs de la mode eux-mêmes, qui en font un enjeu prioritaire, mais aussi par les consommateurs qui réclament de plus en plus d’informations sur les produits qu’ils achètent. Nous avons pris en compte les dérives du secteur, ainsi que la volonté des marques d’évoluer, et des consommateurs de changer leurs pratiques, pour créer une plateforme dont la mission est d’informer en toute transparence pour faire évoluer l’industrie vers un fonctionnement plus durable. Il s’agit de construire ensemble la mode de demain. Nous avons finalement un double objectif : inciter les marques à faire évoluer leurs pratiques, et aider les consommateurs à faire des achats éclairés.

Sur quoi est basée la méthodologie de Clear Fashion ?

Il était important pour nous de pouvoir couvrir les enjeux clés du secteur, qui ne portent pas uniquement sur l’aspect environnemental. Nous avons donc choisi de diviser les impacts liés à la fabrication d’un vêtement en quatre thèmes, dont la santé, l’humain, et les animaux, en plus de l’environnement. Nous évaluons différents types de vêtements selon 150 critères qui couvrent l’ensemble du cycle de vie du vêtement, de la matière première à la fin de vie en passant par la distribution ou encore la confection.

Travaillez-vous avec des experts, voire des scientifiques ?

Oui, tout à fait. Nous avons à nos côtés tout un réseau d’experts que nous avons pu solliciter dès notre lancement, ne serait-ce que pour construire la meilleure méthodologie. Aujourd’hui nous avons en plus un lien régulier avec notre comité d’experts, constitué de huit membres permanents. Chaque mois, on réunit le comité d’experts pour discuter de notre méthodologie afin de s’assurer de procéder de la bonne façon, et de faire évoluer les pratiques, des marques comme des consommateurs, dans la bonne direction. En parallèle, nous avons nos propres travaux de recherche, menés en partenariat avec le laboratoire GEMTEX (Génie des Matériaux Textiles, ndlr), qui se penchent à plus long terme sur l’impact de notre méthodologie, et s’assurent de sa robustesse et de sa bonne évolution.

Comment travaillez-vous avec les marques de mode ? 

À notre démarrage, les marques étaient principalement évaluées à la demande des consommateurs. On a eu près de 300.000 demandes d’évaluation qui étaient faites par les consommateurs sur notre application; ce qui est énorme. Nous contactions les marques pour leur expliquer que tant de personnes avaient demandé leur évaluation, et nous leur transmettions car elles avaient bien évidemment un droit de retour. Ce dernier devait toutefois être complété par des justificatifs pour certifier chaque donnée avancée. Au début, certaines acceptaient, d’autres non. Mais aujourd’hui, la donne a un peu changé : les marques viennent à nous pour être évaluées. Une chose qui est due à la forte demande des consommateurs, mais aussi à l’évolution de la législation. Il y a aussi un effet boule de neige entre les marques, puisqu’elles ont tout intérêt à être aussi transparentes que leurs concurrents. En moins de trois ans, nous sommes passés de 25 à 300 marques qui se sont engagées dans une démarche de transparence, et qui acceptent de mettre à jour leurs pratiques sur Clear Fashion.

Comment se passe le processus d’évaluation avec les marques ?

Il y a trois phases dans le processus d’évaluation : la collecte d’informations, la vérification des informations, et le calcul des scores. Dans un premier temps, on a une grille qui permet de collecter des éléments très factuels sur les matières premières utilisées, les chaines de production, la localisation des fournisseurs, etc., puis on va rechercher les éléments de réponses à ces questions, soit à partir de données publiques, soit à partir des justificatifs envoyés par les marques, et on vérifie toutes les informations. Enfin, lorsque la réponse est intégrée, il y a un calcul de score qui se fait de façon automatique selon un barème basé sur nos travaux scientifiques. Il est important d’impliquer les marques par souci de transparence, mais aussi pour qu’elles soient actrices du changement. Mais nous avons en parallèle une méthode solide et factuelle, qui permet de vérifier que les informations sont fiables, et qui est la même pour toutes les marques. Ce qui garantit l’impartialité, que ce soit pour les petites marques éco-responsables, les maisons de luxe, les marques internationales, ou encore les marques de ‘mass market’.

Est-ce que les marques jouent vraiment le jeu ?

Nous avons une grille complète que l’on applique à toutes les marques, donc si une marque ne répond pas sur un ou plusieurs critères, le consommateur va forcément voir qu’elle n’a pas voulu transmettre l’information. Notre but est vraiment d’être transparent. Nous ne voulions absolument pas mettre en avant les ‘bonnes informations’ sans parler de ce que nous n’avions pas. Il est important que le consommateur sache ce que la marque fait, mais aussi ce qu’elle ne fait pas. Sinon, le score est biaisé. Il y a, par exemple, des marques qui nous expliquent qu’elles n’étaient pas au courant de telles ou telles pratiques dans le cycle de vie de leurs vêtements, mais cela montre justement qu’il y a forcément des risques à ne pas connaître ces informations. Quand on questionne une marque sur les substances toxiques qu’elle utilise, si elle n’a pas l’information, nous n’attribuons pas les points car cela reflète la réalité des risques. Ce qui est bénéfique car cela incite les marques à aller chercher ces informations. Nous avons observé une évolution au fil du temps, car elles ont été amenées à faire un vrai état des lieux pour combler le manque d’informations qu’elles pouvaient avoir. 

On parle beaucoup de greenwashing dans la mode. Avez-vous observé un réel changement de comportement de la part des marques en matière d’environnement ? 

Il y a effectivement eu de vrais changements, mais cela n’empêche pas forcément le greenwashing, qui se caractérise par une information qui est trompeuse pour le consommateur. Parfois les marques mettent en avant un changement, qui est finalement une portion minime de leur impact, et dissimulent d’autres actions plus néfastes. En ce sens, Clear Fashion permet d’apporter une information complète, et de regagner la confiance des consommateurs, et ce même quand les notes ne sont pas forcément excellentes. 

Concrètement, comment Clear Fashion accompagne les consommateurs au quotidien ?

Il y a aujourd’hui plusieurs fonctionnalités sur Clear Fashion. L’idée est d’abord d’aider les consommateurs à préparer leurs achats grâce à l’application mobile, de les guider pour faire des choix éclairés. Ils peuvent rechercher la marque de leur choix pour découvrir ses notes, mais également faire une recherche à partir d’un type de vêtement pour déterminer où celui-ci est le mieux noté. Puis il y a une autre fonctionnalité qui permet cette fois d’être guidé au moment des achats, et d’en savoir plus sur le vêtement que l’on a dans les mains, grâce au scan et au Clear Fashion Score.

Est-ce que les applications comme Clear Fashion permettent également de faire prendre conscience des enjeux qui se jouent dans la mode ? 

Oui, tout à fait ! Aujourd’hui, il y a de plus en plus de personnes qui sont conscientes de ces enjeux, mais pas l’ensemble des consommateurs. Nous avons donc un vrai rôle à jouer dans cette prise de conscience. Il y a par exemple des personnes informées sur l’impact environnemental, mais qui ne savent pas forcément que la santé aussi un sujet important. Clear Fashion permet de sensibiliser le plus grand nombre à tous ces enjeux. Depuis nos débuts, nous sommes en liens étroits avec des experts, des chercheurs, et des ingénieurs sur l’aspect scientifique, mais nous avons également noué un lien avec les consommateurs pour être certains de leur apporter les informations de la bonne façon. Le but est que l’affichage soit compris et reçu par tous; c’est une dimension très importante à nos yeux.

Avez-vous de nouveaux projets à venir ?

On souhaite vraiment permettre aux marques de s’engager dans une démarche de transparence avec leurs clients, et offrir la possibilité aux consommateurs d’avoir accès à encore plus d’informations au plus près de leurs achats. Pour cela, nous développons l’affichage de notre score directement sur les lieux de vente, donc à la fois sur les e-shops et dans les boutiques physiques. Et en parallèle, nous participons à l’évolution de la législation via nos différentes expérimentations, sachant que l’idée est de permettre aux marques, à long terme, de répondre à la réglementation, et même au-delà, puisque celle-ci porte aujourd’hui essentiellement sur l’aspect environnemental. Nous souhaitons également aller à l’international. Nous avons énormément de demandes en ce sens de la part des consommateurs, et nous travaillons déjà avec de nombreuses marques internationales, donc nous voulons aller plus loin. Il y a un vrai besoin étant donné que le secteur est mondialisé, et il n’y a pas de raison d’imposer des frontières à la transparence. Nous voulons vraiment que notre information devienne la norme, en France comme à l’international.