Start-up lancée en 2020, Äerd Lab est spécialisée dans l’impression 3D de briques, tuiles et produits de construction, en terre cuite. Angelika Bocian-Jaworska sa fondatrice, revient sur son parcours d’entrepreneuse et sur les défis rencontrés en tant que femme pour mener à bien son projet.
Texte : Marc Auxenfants / Photographie : Edyta Nowak
Angelika Bocian-Jaworska, quel est le cœur de métier de votre start-up ?
Äerd Lab crée des briques acoustiques à faible teneur en carbone à base d’argile, auto-séchantes, grâce à une technologie d’impression 3D avancée. Nous transformons ainsi des déchets de chantier en matériaux de construction durables qui consomment 70 % de CO2 de moins que les briques traditionnelles, ce qui facilite le montage et le démontage.
“Notre vision et notre mission sont d’offrir à l’industrie de la construction les moyens de réduire son impact environnemental, tout en améliorant l’efficacité, en respectant des normes réglementaires strictes et en fournissant des solutions visuellement attrayantes.”
Angelika Bocian-Jaworska, fondatrice de Äerd Lab
Comment est né ce projet ?
L’idée est tirée de ma volonté de créer des solutions innovantes aux défis environnementaux. Au cours de mes études d’architecture avancée à Barcelone, j’ai découvert le potentiel de l’architecture d’argile imprimée en 3D des matériaux locaux à faible émission de carbone. Au cours d’un semestre à Shanghai, j’ai pu observer comment la robotique et l’automatisation pouvaient révolutionner les processus de construction. Ce qui m’a incitée à explorer l’intégration des technologies de pointe avec des matériaux traditionnels pour créer une solution tangible et évolutive.


Comment se porte le marché luxembourgeois sur ce produit ?
Le marché luxembourgeois présente à la fois des opportunités et des défis pour notre produit. Alors que l’intérêt pour les solutions de construction durable ne cesse de croître, le secteur de la construction est actuellement confronté à une crise qui peut ralentir l’adoption de l’innovation. Pour cette raison, nous ciblons d’abord le marché de la décoration intérieure, où la demande de matériaux durables de haute qualité reste forte. Cette orientation stratégique vers ce marché nous permet de gagner du terrain et de valider notre solution au sein d’un segment d’affaires, qui nous permettra ensuite de mieux nous développer.
Pourquoi choisir de lancer votre start-up au Luxembourg ?
Le Luxembourg offre un excellent soutien aux startups grâce aux subventions de R&D (recherche et développement) aux jeunes pousses, à Luxinnovation et aux facilités d’accès aux chercheurs qui sont offertes. Bien que l’écosystème des startups ne soit pas aussi vaste que dans les grands pays, il permet aux porteurs et porteuses de projet d’accéder à de divers programmes et accélérateurs qui contribuent à favoriser la croissance de leur entreprise.
De quelles formes de soutiens avez-vous pu bénéficier ?
L’année dernière, le Circular by Design Challenge organisé par Luxinnovation nous a beaucoup aidés. Il a soutenu le développement de notre mélange de déchets d’argile et de poudre provenant de l’industrie alimentaire. En conséquence, nous livrerons nos briques comme meubles au Pavillon du Luxembourg à l’Expo 2025 à Osaka. Cette opportunité nous a donc donné de la visibilité, des clients et la chance de mettre à niveau notre équipement. Fit 4 Start (le programme d’accélération luxembourgeois) a cependant été l’expérience la plus transformatrice. Elle a en effet complètement changé mon approche en tant que fondatrice, en m’aidant à définir des objectifs clairs et à construire une feuille de route réaliste pour les atteindre.
“Mon rêve est de créer des maisons en argile imprimées en 3D. Mais j’ai appris qu’il est crucial de faire de petits pas, en commençant par les briques pour les intérieurs.”
Angelika Bocian-Jaworska, fondatrice de Äerd Lab
Fit 4 Start a donné accès à des investisseurs, à des experts et à des cours intensifs sur la gestion et la planification financière. Le processus était difficile, avec un examen constant, mais il était aussi incroyablement utile.
Grâce à Fit 4 Start, nous avons rejoint l’accélérateur américain gener8tor, présent au Luxembourg. Ils ont investi en nous et nous ont proposé une approche différente, que j’ai également appréciée.
En 2023, nous avons participé à de nombreux concours de startups, dont l’EY Startup Cup. Bien que nous n’ayons pas gagné, être finaliste a été une expérience formidable. Cela m’a aidé à m’entraîner à parler en public, à faire des présentations éclair et à expliquer les avantages de notre produit aux clients.
À quels grands défis avez-vous été confrontée lors du lancement de votre entreprise ?
Lancer Äerd Lab en tant que fondatrice solo dans un secteur de la construction essentiellement dominé par des hommes a été pour moi un défi de taille. Il peut être difficile pour les femmes d’être prises au sérieux au début. J’ai dû faire preuve de beaucoup de persévérance pour obtenir du financement et convaincre les parties prenantes d’adopter cette nouvelle technologie que je proposais, qui n’avait pas encore été testée. Du point de vue technologique, le développement de nos matériaux exclusifs à base d’argile et le perfectionnement du processus d’impression 3D ont nécessité de surmonter des obstacles techniques et logistiques. D’où la nécessité de lever des fonds, ce qui est un autre défi, car les investisseurs luxembourgeois se concentrent principalement sur les logiciels, alors que nous travaillons sur le matériel à ce stade de notre développement. Généralement les femmes ont tendance à lever moins d’argent que les hommes. Ce qui n’empêche pas les investisseurs potentiels de les interroger sur leurs projets familiaux, comme si elles avaient toujours l’intention d’avoir des enfants parallèlement au lancement de leur entreprise. Autant de préjugés qui rendent la collecte de fonds plus difficile que pour les femmes. J’ai toutefois eu la chance de trouver des investisseurs ouverts d’esprit qui se concentrent sur le produit et sur les valeurs de la porteuse de projet, plutôt que sur son genre.
Plus généralement, quels défis les femmes rencontrent-elles plus dans leur parcours entrepreneurial ?
Les fondatrices d’entreprise sont souvent confrontées à des difficultés comme l’accès au financement, la sous-représentation dans les réseaux de leadership et les préjugés sociétaux donc elles sont victimes. Dans les secteurs à prédominance masculine comme la construction, c’est certainement plus difficile pour les fondatrices d’entreprises d’acquérir de la crédibilité et d’établir une relation de confiance avec les parties prenantes.
4 ans après le lancement de votre entreprise, quels enseignements tirez-vous de ce parcours ?
Les quatre dernières années m’ont appris qu’il est essentiel d’ajuster sa vision pour s’aligner sur ce dont les clients ont vraiment besoin. J’ai aussi appris qu’une solution réussie doit s’attaquer non pas à un seul problème ; elle doit aussi répondre à plusieurs défis, en créant une offre plus complète et plus percutante. Ce n’est qu’alors qu’elle pourra évoluer vers un produit entièrement circulaire qui répond à la fois aux exigences du marché et aux objectifs de durabilité. Autre leçon tirée de cette expérience : il faut se donner du temps pour vraiment développer quelque chose de significatif. Trouver la bonne équipe au Luxembourg prend également beaucoup plus de temps que prévu. Mais une fois que vous avez embarqué les bonnes personnes qui feront la différence dans votre projet, vous pourrez avancer plus sereinement et efficacement.
Quels conseils suggérez-vous aux femmes qui envisagent de créer leur propre entreprise ?
“Dans un projet entrepreneurial, la cohérence est essentielle. Beaucoup de gens ont de bonnes idées, mais les idées ne peuvent pas être brevetées et les idées seules ne mènent pas au succès. Vous devez les transformer en produits tangibles.”
Angelika Bocian-Jaworska, fondatrice de Äerd Lab
Il est tout aussi important de profiter du parcours de la startup. L’entrepreneuriat peut être difficile, mais chaque défi est une occasion d’apprendre et constitue une leçon gratuite. Alors que les gens conseillent d’apprendre des erreurs des autres, nous apprenons souvent plus efficacement de nos propres expériences. Pensez aussi à votre équipe dès le départ. Au Luxembourg, il peut être difficile de trouver des membres d’une équipe, alors planifiez-le tôt. La constitution d’une équipe de base aux compétences diverses est cruciale pour développer votre premier produit. Vous ne pouvez pas avoir toutes les compétences possibles, et vous devez être conscients que vous aurez besoin de compétences en finance, en gestion d’équipe, en gestion de produit et de projet. Il est donc important de trouver des personnes qui partagent votre vision. Et cette diversité sera cruciale pour vous aider à vous développer plus rapidement.
Comment voyez-vous 2025 pour votre entreprise ?
Notre objectif principal pour 2025 est certainement de réaliser notre premier projet pilote, de tester la dernière version de notre géopolymère dans des conditions de laboratoire et d’intensifier nos opérations. Nous entamons également notre 2e tour de financement en vue d’accélérer davantage notre croissance. De plus, nous voulons accroître notre équipe actuellement de cinq personnes, et renforcer notre présence au Luxembourg. Nous avons récemment emménagé dans de nouveaux locaux à Luxembourg, un espace de production de quelque 100 mètres carrés, ce qui nous permettra de gagner en efficacité, mais aussi d’intensifier nos activités et de nous concentrer sur notre innovation principale, la « brique Äerd ».
Article initialement publié dans Femmes Magazine n°263 édition de février 2025, à retrouver ici.