Qu’elle soit revendiquée ou subie, la vie en solo est en forte progression, et elle a un prix. Le Luxembourg figure parmi les pays qui taxent le plus les célibataires et une pétition réclamant une réduction d’impôts a été déposée à la Chambre. Avec l’inflation croissante et l’augmentation du coût du logement, convoler en justes noces serait-il l’unique solution pour payer moins de taxes ?

Par Isabelle Conotte

Le célibat devient un luxe

Si pendant longtemps le célibat était juste l’étape précédant la vie de couple, ou une situation subie, il est devenu pour beaucoup un mode de vie et un choix assumé. En France, selon l’Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE), en 2019, 37 % des ménages sont constitués d’une seule personne, contre 27 % en 1990. Même constat au Luxembourg où selon l’Institut national de la statistique et des études économiques (STATEC), sur la même période, les célibataires sont devenus le plus grand groupe de l’état civil avec 294 406 personnes, devant les mariés avec 247 862 personnes (contre 154 411 célibataires et 186 111 personnes mariées en 1991). On constate également que de plus en plus de personnes vivent en partenariat civil (PACS), mais, même si on ajoute les 26 366 pacsés, on n’atteint pas le nombre des mariés de 1991. Enfin, on compte davantage de divorcés sur la même période (46 037 contre 15 188 en 1991).

Le célibat est donc une tendance globale en hausse et si elle peut représenter une certaine liberté, cela reste la double peine quand on passe à la caisse. En effet, partager le même toit permet de diviser les frais du quotidien par deux et répartir les charges et les abonnements. Au niveau des loisirs, le constat est le même : les vacances sont toujours plus onéreuses pour un célibataire qui assume entièrement une chambre d’hôtel ou un séjour de vacances. Si structurellement, le célibat est plus cher que la vie de couple, l’inflation croissante a aussi plus d’impact : on est seul à faire face aux augmentations comme celles du coût de l’énergie, du chauffage et de l’entretien du foyer. Enfin, l’accès à la propriété, que ce soit en location ou en achat, peut se révéler extrêmement critique, voire impossible, dans un contexte de flambée du prix de l’immobilier où de plus en plus de garanties financières sont exigées. Bref, être célibataire coûte cher et ce n’est pas fini : on est aussi pénalisé fiscalement au niveau du travail.  

Double peine avec les impôts     

Au Luxembourg, le taux d’imposition du travail dépend de la classe d’impôt et il est déterminé en fonction de son état civil et de sa situation familiale. On distingue trois situations : célibataire (classe 1), célibataire avec enfant ou monoparental (classe 1A), qui bénéficie d’une modération par rapport aux célibataires sans enfant, et marié(e) (classe 2). Même s’ils varient en fonction de la tranche de revenu, les taux d’imposition de la fameuse classe 1 sont les plus élevés au Luxembourg. Différentes calculatrices fiscales en ligne permettent de faire les comparaisons : avec un salaire mensuel brut de 5000 euros, un travailleur marié touche environ 4100 euros net, quand un célibataire gagne un net d’environ 3520 euros, un célibataire avec enfant ou monoparental perçoit à peine plus, en atteignant les 3580 euros.

Pour comparer avec la situation dans d’autres pays, on peut utiliser la notion de coin fiscal : il s’agit du pourcentage du revenu du salaire versé à l’État dans les prélèvements obligatoires (impôts et cotisations sociales). Un rapport statistique de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) compare le coin fiscal des célibataires dont la rémunération équivaut à 100 % du salaire moyen. Il atteint plus de 40% au Luxembourg, ce qui est davantage que dans la moyenne des pays de l’OCDE (34,6%), il faut cependant noter que c’est moins que chez nos voisins français et allemands qui atteignent les 47%, ou chez les Belges qui arrivent au taux de 53%.

Enfin, dernier point à souligner selon un rapport de l’OCDE*, dans un contexte d’inflation record depuis plus de 30 ans, cette nouvelle analyse révèle qu’en 2022 « …les taux effectifs d’imposition du revenu du travail ont augmenté dans la zone OCDE tandis que les salaires réels diminuaient sous l’effet d’une forte inflation. » La situation ne va donc pas en s’arrangeant pour les célibataires et la question d’une réforme et d’un allègement fiscal pour la classe 1 est plus que jamais d’actualité.

À quand la réforme fiscale pour parer à cette injustice ?

Le manque d’équité entre la situation fiscale des célibataires et celle des personnes mariées au Luxembourg soulève régulièrement les débats. En janvier 2019, déjà, est déposée à la Chambre une pétition intitulée « Baisse d’impôts pour les célibataires », elle suggère de donner la classe 2 à tous : personnes mariées ou célibataires. Elle recueille 6800 signatures, soit bien plus des 4500 paraphes qui permettent au sujet d’être débattu à la Chambre des députés. À l’époque, pour Pierre Gramegna, ministre des Finances, il est question d’engager une grande réforme fiscale et parmi les pistes étudiées, se trouve le projet de mettre en place un barème unique et de supprimer les trois différentes classes d’impôts. Cependant le contexte de crise lié à l’épidémie de Covid-19, puis à la guerre en Ukraine va mobiliser l’essentiel des actions politiques et des fonds publics, le projet passe à la trappe.

En 2023, la situation n’a donc pas évolué et une nouvelle pétition est déposée à la Chambre en janvier. Renouvelant les doléances de la pétition de 2019, elle a pour but de réduire les impôts payés par les célibataires. Elle souligne l’injustice de la situation de prélèvements fiscaux et met en évidence le contexte d’augmentation du coût de la vie dû à l’inflation. Encore une fois, le nombre de signatures nécessaires est largement atteint avec plus de 10 000 signatures. Alors qu’elle se dit soucieuse du pouvoir d’achat des ménages, il est peu probable que l’actuelle ministre des Finances, Yuriko Backes, lance une réforme de fond à quelques mois des élections législatives d’octobre. On peut noter que dans leurs programmes de campagne, les différents partis mentionnent les allègements d’impôts (aux personnes ou aux sociétés) et évoquent la situation fiscale des célibataires, ou célibataires avec enfants, que les pétitionnaires considèrent comme une anomalie. Dans ce contexte, la question de la réforme fiscale aura peut-être enfin la place qu’elle mérite dans les débats et les décisions politiques prochaines.

OCDE (2023), « Coin fiscal » (indicateur), https://doi.org/10.1787/32dc7d10-fr