Dans Grande Section, son premier roman paru aux éditions JC Lattès, Hadia Decharrière a convoqué ses souvenirs d’enfance, afin de faire revivre son plus grand héros : son père.

« J’ai toujours aimé écrire. Malgré mon parcours scientifique (Hadia est chirurgien-dentiste, ndlr.), l’écriture a toujours occupé une place prépondérante dans ma vie. Sans que je ne songe pourtant un seul instant à dépasser le stade du petit cahier que l’on garde pour soi. Et bizarrement, je suis une lectrice assez pauvre. Même si mon éditrice me rassure, en me disant que cela est dû à cette phase créative, très intense, que je traverse actuellement. Rien ne me prédisposait à écrire. Mais une fois que j’ai commencé, je m’y suis donné à corps perdu. J’ai littéralement accouché de ce livre », nous dit-elle en souriant.

Grande Section a été écrit d’un jet, ou presque.
2015, sa fille a 6 ans, elle en a 34. Soit l’âge de sa mère quand son père a disparu, alors qu’elle-même n’avait que 6 ans. Le hasard n’existe pas, mais lui insuffle pourtant l’énergie de se lancer en mai, date anniversaire de celui qui, tout au long du roman, apparaîtra comme un héros – le plus fort c’est mon père –, dont l’épaisseur glissera vers le fantomatique au fur et à mesure que la maladie gagne du terrain.

Grande Section, c’est le récit d’une enfant des 80’s. À travers ses yeux, les paysages, les personnages, les sons et les goûts retrouvent leurs couleurs fluos et pétantes. Sous nos doigts, encore collants de peanuts butter et de Jelly flashy, il semble que l’on touche du lycra et que dans nos bouches crépitent les Frizzy Pazzi…

Du Koweït où elle née aux plages cannoises – peuplées de leurs fascinantes cagoles – à Damas, Los Angeles, puis San Diego, l’auteur nous fait revivre ces périodes-clés de son enfance, à travers les yeux émerveillent de la petite Hadia. Mais également à travers le prisme de l’infinie solitude que l’enfant, enfermée dans un monde d’adultes silencieux, subit au quotidien.

La figure de la mère est évanescente, les autres adultes grondent, mais n’ont ni corps ni âme. Sa cousine est une peste, un pur produit de l’industrie américaine. Un seul refuge : la télévision. Le Club Dorothée, Kim Wilde, Murray Head, Michael Jackson – l’idole – et ses clips tellement bien orchestrés et chorégraphie, ou celui de « We are the world » rythment son récit. « Aujourd’hui, on fustige la télévision, jusqu’en interdire l’accès à nos enfants. Moi j’ai passé des heures et des heures devant, complètement charmée. J’ai été éduquée par la télévision. Elle m’offrait une réalité plus belle, plus gaie, plus colorée que celle que je vivais au quotidien. La télé m’a sauvée. »

Les enfants ont cette capacité inouïe de vivre le moment présent et de profiter de chaque instant, quel que soit le contexte. Hadia est de celle-là, et l’on retrouve cette innocence enfantine dans les mots de sa propre fille, avec l’auteur dialogue, parfois. Car Grande Section est un témoignage, une trace qui permet à son père d’accéder à l’immortalité.

Une porte vers l’éternité

Sa fille est également omniprésente dans ce premier roman. C’est elle qui a fait jaillir l’idée, certes, mais elle dialogue aussi avec elle. Grande Section devient alors un testament – « ma fille l’a d’ailleurs rangé précieusement, avec ses trésors, tout un symbole » – qui lui permet de continuer à faire vivre son père, qui apparaît auréolé de lumière. Une vision fantasmée ? Non celle de sa fille « Le souvenir est distordu, c’est vrai. J’ai perdu mon père au moment où il était le plus beau, le plus fort. Son portrait est fait à travers le prisme du regard d’une petite fille de 6 ans. On ne garde que ce qui est beau, à cet âge-là. »

On retrouve ainsi dans Grande Section cette formidable innocence, ainsi que l’énergie incommensurable des pulsions de vie et de mort qui se combattent, constamment. Pourtant, aucune noirceur. Grande Section est solaire et joyeux, malgré son silence, malgré les non-dits.

Un premier livre comme un coup d’éclat, lumineux, mais qui ne restera pas au stade d’essai. Grande Section a démultiplié les possibles d’Hadia Decharrière, qui confie humblement : « je ne savais pas que j’étais capable de faire cela. Comme je suis devenue mère, j’ai découvert des forces insoupçonnées, ce premier roman m’a autorisée à m’imaginer un autre chemin. »

Le contexte est différent. Nos générations ne sont pas (exactement) les mêmes. Pourtant, j’ai été touchée comme si chacun de ses mots jaillissait de mon cœur, de mon histoire, brûlaient mes lèvres. J’ai souri, timidement ; j’ai pleuré parfois. Hadia Decharrière a su transfigurer son premier roman en une liturgie universelle. Un tour de force ? Non, plutôt l’explosion d’une sensibilité depuis trop longtemps enfouie, qui a repris ses droits sous sa plume aguerrie.

Grande Section, Hadia Decharrière, aux éditions JC Lattès.