Faites-vous partie des femmes qui ont pris conscience de l’inconfort du soutien-gorge pendant le confinement, au point d’y renoncer de façon définitive ? Dans son ouvrage, “No Bra – Ce que ma poitrine dit de moi”, qu’elle qualifie elle-même “d’essai féministe”, Gala Avanzi revient sur sa propre expérience du ‘no bra’, et sur l’effet libérateur que ce mouvement pourrait avoir non seulement sur le corps, mais aussi sur la pression ressentie par les femmes. Rencontre.

Vous avez décidé de ne plus porter de soutien-gorge. Quel a été le déclic ?

Le déclic a été une vidéo YouTube, qui n’est malheureusement plus disponible aujourd’hui, sur le fait de ne plus porter de soutien-gorge. Et j’avoue que je ne m’étais jamais posé la question, et finalement je me suis dit ‘oui, pourquoi pas’. Je me suis très vite rendu compte que les soutiens-gorge étaient extrêmement inconfortables pour moi, et que j’avais totalement normalisé et banalisé cet inconfort. C’est vraiment cette vidéo qui a déclenché cette prise de conscience. 

Avoir le déclic, c’est une chose, mais comment avez-vous réussi à dépasser le regard des autres ?

J’ai la chance d’être freelance depuis 10 ans, donc je travaille depuis chez moi. Dans le cadre professionnel, c’était donc assez facile puisque je n’étais pas confrontée au regard des autres. Mais je n’ai jamais ressenti non plus une quelconque malveillance de la part de mes proches, que ce soit mes amis ou ma famille. Je n’ai jamais eu de réflexions négatives. Et dans la rue, c’est simple, je ne fais absolument pas attention au regard des autres. J’étais déjà dans un cheminement qui me fait dire aujourd’hui que je ne peux pas éviter le jugement des autres, peu importe ce qu’il concerne, donc autant passer outre. Je pars du principe que si quelqu’un a un avis sur moi, cela n’engage que lui ou elle, que je ne peux avoir aucun contrôle sur cela.

Dans l’antiquité, l’ancêtre du soutien-gorge, le chiton, servait à dissimuler toute trace de féminité, puis au fil du temps ses fonctions se sont diversifiées : maintenir, redresser, voire rendre la poitrine plus ou moins volumineuse. Finalement, le soutien-gorge est-il l’allié ou l’ennemi des femmes ?

Tout dépend de ce que l’on en fait, en réalité. Et justement, c’est aux femmes de décider si elles doivent ou non porter un soutien-gorge. A mes yeux, si c’est une obligation, comme cela a été le cas ces derniers siècles, il ne peut pas être un allié. En revanche, si c’est un choix, c’est différent. Le fait de choisir change tout. Moi, je l’enfilais comme je mettais un T-shirt ou une culotte, et ça me faisait mal, sans que je ne questionne pour autant cette douleur, cet inconfort. Dans ce cas, le soutien-gorge est forcément plus un ennemi qu’autre chose. Le plus important c’est que ce soit un choix, et non plus une injonction.

Dans le livre, vous associez le ‘no bra’ à un sentiment de liberté. En quoi est-ce libérateur ?

Cela a été libérateur car j’avais énormément de complexes par rapport à ma poitrine, que je trouvais petite, et quand j’enfilais un soutien-gorge ça la faisait rentrer dans les normes. Finalement, quand je l’enlevais le soir j’étais déçue, je me disais qu’elle était moche, pas assez grosse, etc. Lorsque j’ai arrêté de porter des soutiens-gorge, je n’avais plus à faire cette comparaison quotidienne entre ce à quoi mes seins sont censés ressembler et ce à quoi ils ressemblent réellement. Cela a donc été vraiment libérateur pour moi, et aujourd’hui je ne complexe quasiment plus. J’ai eu un peu le même sentiment avec le maquillage, je faisais aussi la comparaison, et depuis que je ne me maquille plus, ou quasiment plus, je me sens beaucoup mieux. Le confinement a d’ailleurs changé beaucoup de choses en ce sens, car on est désormais dans une dynamique où on choisit de porter un soutien-gorge ou de se maquiller pour se faire plaisir, et non plus par obligation. A mon sens, c’est le plus important.

En septembre 2020, un sondage de l’Ifop pour Marianne a révélé que 73% de femmes adultes étaient contre le ‘no-Bra’ dans les lycées publics (contre 58% chez les hommes). Comment expliquez-vous ce chiffre ?

Alors il faudrait déjà connaître les raisons pour lesquelles elles y sont plus réfractaires que les hommes. Pour être honnête, je ne comprends même pas pourquoi on se permet de questionner les tenues de jeunes filles. J’ai moi-même reçu les témoignages de collégiennes qui se faisaient embêter parce qu’on voyait les bretelles de leur soutien-gorge. Ce qui me dérange, c’est que l’on questionne les tenues des femmes, et pas celles des hommes. On ne viendrait pas embêter les garçons sous prétexte que leur téton se voit sous leur T-shirt blanc. Mais pour revenir à ce sondage, que ce soit des femmes ou des hommes qui y soient réfractaires, cela ne m’étonne pas plus que cela car nous sommes tous conditionnés. D’autant plus que les femmes ont bien intégré le fait que leur poitrine était sexualisée… Il est donc difficile de leur en vouloir d’y croire alors qu’on le leur répète à longueur de temps. 

Plus que le soutien-gorge, est-ce que ce n’est finalement pas la poitrine qui fait débat ?

Bien sûr, c’est exactement ça. Et puis il y a la poitrine, mais il y a aussi et surtout le téton. La poitrine n’est pas si dérangeante que cela tant qu’on ne voit pas le sacro-saint téton. C’est lui est qui problématique. Car il existe justement des cache-tétons pour celles qui voudraient enlever le soutien-gorge. Mais encore une fois, c’est l’idée que l’on en a qui change la donne puisque ce n’est pas problématique chez les hommes.

Vous parlez dans le livre de créateurs qui refusent de travailler avec des mannequins qui ont de la poitrine quand, dans le même temps, de célèbres marques de lingerie choisissent volontairement des modèles ayant une poitrine généreuse. Comment expliquer ces contradictions dans une industrie qui a autant d’impact sur les femmes ?


Ce n’est pas étonnant dans le sens où toutes les injonctions subies par les femmes sont contradictoires. Et effectivement, quand on est adolescente, cela peut donner lieu à de gros problèmes. Il y a quand même beaucoup de troubles du comportement alimentaire chez les jeunes, mais aussi des problèmes d’estime de soi, et une multitude de complexes liés au physique. C’est une période qui est déjà tellement compliquée, cela n’arrange rien. On voit quand même émerger de nombreux mouvements en faveur de l’acceptation de soi, comme le body positive, c’est génial, mais malheureusement tout le monde n’y a pas forcément accès. 

La force des diktats est telle qu’il n’est pas facile de renoncer au soutien-gorge. Quels conseils donneriez-vous à celles qui aimeraient pratiquer le ‘no bra’ sans parvenir à passer outre le regard des autres ?

Je conseille d’y aller progressivement, et de ne pas chercher à arrêter de porter des soutiens-gorge de façon radicale, du jour au lendemain, car ce n’est pas si facile que cela. Personnellement, j’y suis allée doucement. Cela a été difficile au début de redécouvrir mon corps, et mon profil, quand je passais devant mon miroir. C’était bizarre car le soutien-gorge donne une certaine forme à la poitrine, et il faut du coup se faire à sa forme naturelle. Si on n’est pas forcément à l’aise avec le regard des autres, on peut choisir de porter des vêtements avec lesquels on ne voit pas trop l’absence de soutien-gorge, puis avancer très progressivement. Et surtout ne pas se mettre la pression. On peut aussi passer à des brassières plutôt que des soutiens-gorge, voire des cache-tétons, même si, à titre personnel, je ne les ai pas trouvés confortables et pratiques. Il faut s’écouter, c’est le plus important. C’est pour cela qu’il faut en parler, et donner de la visibilité à ce mouvement. C’est en le banalisant, en le normalisant, que les femmes ne ressentiront plus cette pression.

Le soutien-gorge a été érigé en symbole de l’émancipation des femmes dans la deuxième partie du XXe siècle. Est-ce que c’est désormais le “no bra” qui pourrait faire figure de symbole ?

Ce n’est pas forcément le fait de ne plus mettre de soutien-gorge, mais d’avoir le choix. Par le passé, oui le soutien-gorge a été libérateur par rapport au corset, mais il était malgré tout question d’imposer autre chose aux femmes. Et si on leur impose le ‘no bra’ aujourd’hui, on décide encore pour elles. Pour moi, cela a été libérateur, mais ça ne le sera pas forcément pour toutes les femmes. Laisser le choix aux femmes de disposer de leur corps comme elles le souhaitent, c’est ça la vraie liberté.

* “No Bra – Ce que ma poitrine dit de moi” par Gala Avanzi, Editions Flammarion, sortie le 22 septembre.