Texte par Cadfael

“L’Union européenne a du mal à gérer son interface avec les droits de l’homme. La question des réfugiés constitue une mise à l’épreuve visible par tous. Et son agence Frontex semble la torpiller.”

« J’encourage la Commission européenne et les États membres de l’Union européenne de favoriser une véritable solidarité et de renforcer les garanties en matière de droits de l’homme aux frontières extérieures de l’Union européenne dans le prochain Pacte de l’Union européenne sur la migration et l’asile. Les rapports faisant état de refoulements et d’expulsions collectives aux frontières maritimes et terrestres des États de l’UE – qui sont en violation des obligations légales et ont de graves conséquences pour la vie et les droits des migrants – nécessitent un contrôle et une vérification indépendants. Je rappelle à tous les pays leur obligation de coopérer pour que la vie des migrants soit protégée et que leurs droits soient respectés, quel que soit leur situation administrative. » Ce furent les paroles de Michelle Bachelet le 14 septembre 2020. La Haute-Commissaire des Nations unies aux droits de l’homme visait en cela certainement Frontex et la situation aux frontières de l’Union européenne.

Une agence à la croissance non contrôlée

D’après le NYT, Frontex est une des agences les mieux financées de l’Union européenne avec actuellement un budget supérieur à 500 millions d’Euros. Son rôle est de « promouvoir, coordonner et développer la gestion des frontières de l’Europe en ligne avec la charte européenne des droits de l’homme ».

Pour 2027 l’Europe a prévu un budget de 5.6 milliards d’euros afin d’avoir à disposition une sorte d’armée aux frontières avec 10.000 hommes, des avions et des drones. Aujourd’hui, par manque d’un cadre légal ad hoc ses fonctionnaires, très bien payés, ne portent pas d’armes et sont obligés d’agir en tandem avec les administrations ad hoc des pays sur les territoires desquels ils sont.

Une direction sous enquête

Le 7 décembre dernier les agents de l’OLAF (Office européen de Lutte Antifraude) ont fait une descente dans les bureaux du directeur exécutif, le français Fabrice Leggeri, archétype de l’énarque et de son chef de cabinet, décrit comme proche des milieux de l’extrême droite et semblerait-il, au caractère cassant et irascible. L’OLAF selon des sources proches, chercherait des preuves en matière de harcèlement, comportements inacceptables et push-back de migrants. D’après de documents internes cités par le quotidien grec Ekathimerini du 14 janvier dernier et d’autres, complémentaires, dont de longs articles du Spiegel et du New York Times, l’énarque se serait opposé « activement » au recrutement de 40 fonctionnaires chargés de contrôler la conformité aux droits de l’homme des opérations de Frontex.

Cette situation aurait été précédée d’une longue guerre interne du directeur exécutif contre la responsable du contrôle du respect des droits humains, une avocate espagnole. Cela déplaisait d’avoir un contrôle indépendant interne et au vu de la pléthore d’articles de presse concernant les méthodes de Frontex, ce poste devenait fondamental. Il n’aurait pas non plus préparé le cadre légal permettant aux agents de Frontex d’être armés lors de leurs interventions. Le document en question parle d’un département de ressources humaines « comiquement ridicule », offrant 400 jobs un jour, les retirant le lendemain.

Les push-back

Parmi les évènements les plus documentés il y a des images qui occupent toujours Parlement européen prises à partir d’un avion de surveillance de Frontex. Elles montrent un pneumatique rempli d’une trentaine de réfugiés prêts à être secourus par des garde-côtes grecs pour ensuite être débarquées à nouveau dans le bateau sans moteur et être remorquées jusque devant les côtes turques au lieu d’être emmenées à Lesbos comme l’exigent le droit maritime et les procédures européennes. La marine turque a documenté le sauvetage des réfugiés.

Selon le NYT du 26 novembre dernier, un bateau garde-côte suédois travaillant pour une des missions de Frontex fut témoin le 30 octobre dernier d’un nouveau push-back par les autorités grecques. Un officier de Frontex aurait conseillé aux Suédois de ne pas faire de rapport sur l’événement. Le représentant suédois au management board de Frontex aurait mis le point à l’ordre du jour lors de  la réunion du 10 novembre dernier.

Les flirts avec les lobbies de l’armement

Le 5 février de cette année, lors d’une émission sur ZDF, la chaine publique allemande un ensemble de dossiers furent publiés (www.frontexfiles.eu) montrant que Frontex avait menti quant à ses contacts avec des lobbyistes de l’armement et ne se conformait pas aux règles européennes régissant la transparence des contacts entre fonctionnaires européens et lobbyistes. En effet entre 2017 et 2019 des réunions avec 138 groupes privés ont eu lieu avec des sociétés issues de l’armement, de la biométrie et de la surveillance. Près de 58 % de ceux-ci n’étaient pas inscrits sur le registre de transparence européenne obligatoire. Les journalistes de la chaine publique ont simplement mis en ligne des centaines de documents prouvant que Frontex n’avait pas dit la vérité aux parlementaires et aux journalistes. Ils s’interrogent également à propos d’une facture de 94.000 euros pour un diner à Varsovie.

L’Europe mérite mieux

Comme l’a dit un des connaisseurs du milieu, « de cette manière on peut peut-être gérer une sous-préfecture, mais pas une institution européenne. »

Les prochaines réunions Management Board de Frontex promettent d’être animées. Nous souhaitons beaucoup de courage au représentant luxembourgeois qui semble être bien armé pour dénouer ce type de situation. Ce haut gradé de la police n’était-il pas actif dans le département « crime et corruption » ainsi que patronne de l’unité de criminalité informatique et de police scientifique ?

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