Le film d’animation Flee raconte l’histoire vraie de la fuite semée d’embûches vers l’Europe d’un jeune réfugié afghan homosexuel. Il réussit grâce à ses dessins à mettre un visage humain sur cette crise internationale tout en préservant l’anonymat de celui qui l’a inspiré.
Jonas Poher Rasmussen est l’auteur de ce documentaire hybride, primé aux festivals de Sundance et d’Annecy et qui sera le candidat officiel du Danemark pour les prochains Oscars. C’est son amitié avec “Amin” qui lui a donné l’idée de ce projet, raconte le réalisateur. “J’étais curieux de connaître son passé depuis que je l’ai rencontré quand nous avions 15 ans, à son arrivée dans ma ville au Danemark», se souvient Jonas Rasmussen, aujourd’hui âgé de 40 ans.
Initialement, Amin ne souhaitait pas parler de ce qu’il avait vécu, craignant pour son statut de demandeur d’asile mais aussi d’être perçu comme une victime. C’est en 2013 que le réalisateur, spécialisé dans les documentaires pour la radio, a eu l’idée de traduire les entretiens avec son ami sur grand écran, sous forme de film d’animation.
Des traumatismes toujours plus d’actualité
“De cette manière, il peut partager son histoire et quand même rencontrer des gens sans souffrir d’idées préconçues. Ces gens ne connaîtront pas ses secrets les plus intimes, ses traumatismes», explique l’auteur. Car Flee est rempli de traumatismes, depuis la disparition du père d’Amin dans le Kaboul des années 1980, en plein régime communiste, jusqu’à la décision de sa famille de quitter la capitale, encerclée par des combattants islamistes en 1996.
Des images d’archives bien réelles de cette époque incluses dans le documentaire rappellent étrangement la prise de Kaboul par les Talibans cet été. “C’est malheureusement redevenu d’actualité d’un seul coup», lâche Jonas Rasmussen, dont le film avait été sélectionné pour l’édition 2020 du Festival de Cannes, finalement annulée pour cause de Covid. Et depuis le Danemark, Amin a assisté au triste spectacle d'”une nouvelle génération d’Afghans poussés hors de leur pays et qui vont se retrouver dans le même enfer, probablement même pire».
Une vraie terreur sur de faux visages
Flee s’attache surtout au sort désormais trop familier des milliers de réfugiés qui risquent chaque jour leurs vies pour fuir les zones de conflit et gagner l’Europe. Lors d’une séquence poignante représentée par des esquisses minimalistes, les soeurs d’Amin se retrouvent prisonnières d’un conteneur étouffant tandis qu’elles cherchent à rejoindre la Scandinavie à bord d’un cargo traversant la mer Baltique. Amin lui-même effectuera plus tard cette traversée sur un bateau surpeuplé et prenant l’eau de partout mais sera intercepté par les gardes-côtes estoniens.
Selon M. Rasmussen, ce recours à l’animation “semblait dans une certaine mesure plus honnête» que d’employer des acteurs pour incarner les policiers arrêtant les migrants. “De manière plus surréaliste, c’est bien de se plonger dans les émotions (du personnage), de montrer sa terreur, parce que c’est vraiment ce qui s’est produit là-bas», dit-il.
Le réalisateur a été inspiré par Valse avec Bachir, un film d’animation israélien consacré au témoignage d’anciens soldats ayant participé à la guerre du Liban en 1982. En le regardant, il avait trouvé plus facile de suivre une histoire sans voir de vrais “visages en train de souffrir». “Ces images animées comme intermédiaires ont fait que je n’ai pas tenu à distance ce que je voyais, comme je l’aurais probablement fait en temps normal», explique-t-il.
Van Damme et Bollywood
L’animation permet aussi d’introduire une dose d’humour à des événements tragiques, par exemple lorsque Amin se souvient du walkman rose sur lequel il écoutait de la pop dans sa jeunesse à Kaboul, qui donne une séquence de croquis au crayon rappelant le célèbre clip du groupe A-han, Take on Me.
Jean-Claude van Damme et des stars de Bollywood, amours secrètes du jeune garçon à l’époque, lui adressent des clins d’oeil depuis des affiches ou des écrans. “Vous avez le droit de rire avec lui, de rire de lui», estime le réalisateur, qui espère retracer l’histoire “d’un être humain qui, à un moment de sa vie, n’avait aucun contrôle sur ce qui lui arrivait».