À 24 piges, bientôt 25, Fakear s’est fait un vrai nom sur la scène électro, une reconnaissance accentuée par la sortie de son premier album, Animal, au début de l’été. Celui qu’on verra début novembre à la Rockhal avoue s’être laissé griser par la notoriété, et revient aujourd’hui un peu plus à ce qu’il est, Théo Le Vigoureux, jeune français qui s’est exilé en Suisse, pour vivre au calme avec sa copine. « Le milieu des clubs ne me manque pas du tout. Je suis très bien dans ma petite bulle. Ça me permet de me reconnecter à ce que je suis et à penser à autre chose qu’à la musique et à mon projet, ce qui est difficile quand t’es en tournée » raconte-t-il en préambule d’un quart d’heure d’échanges vraiment cool.
Est-ce qu’on te dit encore que tu fais de la fausse musique ? (son nom de scène est construit à partir de l’anglais fake ear, en français «fausse oreille», «fausse musique», comme certains ont pu la qualifier)
Fakear : Non non, c’est une période révolue (il rit). Je devrais changer de nom en fait, parce qu’il est moins cohérent.
Tu l’as vécu comment cette période où l’on stigmatisait un peu ton son ?
À vrai dire, j’arrivais à tourner ça en dérision. Je viens d’un milieu rock, folk, où tout le monde joue de la guitare. Moi, j’étais le mec qui s’enfermait avec son ordi, le geek de la bande. J’étais plus dans un jeu, je leur disais « attendez, vous allez voir si c’est de la fausse musique » !
On parle de ton album Animal comme d’un album solaire, qui fait voyager… Et toi, tu le définis comment ?
Pour moi, c’est un album d’amour. À mon sens, il fait moins voyager que mes EP d’avant. C’est une bulle hors du temps, qui raconte surtout ma rencontre avec ma copine et l’histoire d’amour qui en a découlé.
Est-ce que tu sais quoi répondre aujourd’hui quand on te demande de décrire ta musique ?
Non toujours pas. C’est un melting pot d’influences que m’ont filé mes parents, que j’ai accumulé en grandissant… J’essaie de faire de la musique la plus sincère possible, de communiquer ce que j’aimerais appliquer dans ma vie : ce lâcher-prise sur les normes de la société, sur toutes les pressions qu’on nous impose depuis qu’on est gosse… J’essaie de faire une musique qui pèterait toutes ces frontières, tous ces codes, et qu’on pourrait appréhender comme l’expression de certaines émotions, sans rien d’autre.
« Au début, j’étais vu par la scène parisienne comme le mec qui faisait de l’électro-pop cheloue mal produite »
Tu te sens prisonnier de certains codes ?
Grave. Moins aujourd’hui car je vis plus loin de la bulle parisienne, des grands courants musicaux, mais il y a pas mal de pression. L’électro est un courant tout jeune. Dès qu’il se passe quelque chose d’un peu stylé, ça crée du mouvement chez les producteurs. Au début, j’étais vu par la scène parisienne comme le mec qui faisait de l’électro-pop cheloue mal produite, parce que je n’utilisais pas la bonne grosse caisse, la bonne caisse claire, tel sample de basse… J’en avais un peu rien à foutre, je faisais mon truc comme ça. On est toujours libre de se détacher de ces pressions ou de les prendre personnellement. Mais pas mal de producteurs vont se plier à ces pressions pour satisfaire une certaine niche, pour être stylés ou je sais pas quoi…
Tu les as pris comment, ces critiques ?
Sur le moment c’était compliqué parce que j’avais envie d’appartenir à cette scène un peu cool. Mais j’ai vite compris que ce n’était pas ça le but du jeu. C’est le live et la manière dont les gens ont répondu qui m’a fait comprendre ça. Être derrière son bureau à fignoler son morceau avec les sons qui vont bien, c’est un autre taf que de se lancer devant la foule. En face de moi, les gens répondaient « oui » et ça m’a permis de passer au-dessus de toutes ces critiques.
À 24 ans, t’as déjà l’impression d’avoir traversé un paquet d’épreuves ?
Des barrages, il y en a encore mille qui m’attendent. Mais je me suis heurté à pas mal d’idéaux qu’on se met dans la tête quand on entre dans la musique et qu’on rêve d’être une rockstar. Des fantasmes faux ou malsains.
Lesquels ?
Ben ce fantasme d’être en tournée, de se mettre mal tous les soirs… Humainement ce n’est pas possible et ce n’est pas sain. Quand la vague de la notoriété arrive, t’as l’impression que tout est possible, que rien ne peut t’atteindre, que tu vas changer la face du monde musical. C’est super grisant. Je m’y suis confronté et je suis allé dans le mur. Et là, je reviens tranquillement en arrière pour voir quel chemin je peux emprunter pour l’éviter.
« Je pense qu’à un moment donné, je me suis trop identifié à Fakear, la frontière qui le séparait de Théo était devenue floue »
Ça se gère comment la notoriété ?
C’est à double tranchant. Ça te donne de la confiance, ça t’ouvre pas mal de portes… Mais il faut garder de la distance. C’est assez chaud de chasser l’idée que tu fais de la musique pour être connu, surtout quand tu débutes, car tu vas avoir tendance à en faire de plus en plus pour gagner en notoriété. C’est difficile de revenir à des bases innocentes, de faire de la musique juste parce que tu la kiffes. Je pense qu’à un moment donné, je me suis trop identifié à Fakear, la frontière qui le séparait de Théo était devenue floue. Aujourd’hui, j’en suis revenu. Je fais plein d’exercices pour rester moi-même.
C’est pour éviter de tomber dans ces pièges que tu es passé du rock à l’électro, non ?
Ouais, l’image de la rockstar me fascinait, mais j’ai fini par voir toutes ces querelles d’égo qui éclataient dans les groupes. Et musicalement, je n’arrivais pas à exprimer tout ce que je voulais avec ma guitare. Du coup, j’ai pris mon ordinateur. Je me suis mis à bidouiller des bouts de voix, d’instruments, mais ça s’est fait très progressivement.
T’en écoutes toujours, du rock ?
J’écoute moins de hard rock, mais je suis un grand fan de la scène folk, genre Fleet Foxes. Dans le rock, j’en suis resté à mes vieilles amours, je suis fan des Pink Floyd, Led Zep, des premières heures de Genesis… et dans le genre bourrin, ACDC, Guns N’ Roses, Nirvana… Ma Stratocaster n’est pas très loin.
Tu sais toujours en jouer ?
Ouais, mais j’ai perdu ! J’en joue pour le plaisir.
Et ton côté geek, c’est quoi ?
Alors, je ne joue pas aux jeux vidéo massivement multijoueurs…
Pas de World of Warcraft alors.
Non pas du tout. J’ai peur de ce que ça pourrait réveiller en moi et j’ai autre chose à faire ! Mais je suis un gros fan de Star Wars. Et j’aime bien les petits jeux comme Minecraft, où il faut explorer un monde imaginaire.
Tu seras à la Rockhal le 1er novembre, presqu’un an après ta première venue ici. Ça t’inspire quoi, le Luxembourg ?
Très franchement, je n’ai ni d’a priori, ni d’images particulières qui me viennent en tête. Mais oui, j’étais là l’an dernier et je n’en garde pas un souvenir super cool car c’était le 13 novembre et qu’on était en plein dans les attentats de Paris. J’avoue que je n’étais pas très concerné par ce que je faisais.
Interview de Raphaël Ferber