Propulser la carrière de jeunes artistes. C’était le rôle des maisons de disque, avant l’arrivée de YouTube, TikTok et des géants du streaming musical. Le numéro un du secteur, Spotify, parie sur l’intelligence artificielle pour l’aider à dénicher les nouvelles stars de demain. Décryptage.

Chaque jour, plus de 60.000 nouveaux morceaux font leur apparition sur la plateforme de Spotify. Pas facile pour les mélomanes et les professionnels de l’industrie musicale de dénicher les successeurs de Taylor Swift ou Drake parmi cet afflux musical. Pour les y aider, Spotify travaille actuellement sur un algorithme qui permettrait de prédire quels artistes “relativement inconnus” sont les plus susceptibles de percer. 

Le géant suédois du streaming a déposé une demande de brevet début mars aux États-Unis, concernant une nouvelle technologie désignée sous le nom de “System and Method for Breaking Artist Prediction in a Media Content Environment”. Comment fonctionne cette invention ? Elle détermine plusieurs “adopteurs précoces” parmi les millions d’utilisateurs de Spotify. Cette technologie se base sur leurs habitudes d’écoute pour déterminer quels artistes pourraient prétendre à une carrière fulgurante comme Billie Eilish ou Lil Nas X, selon le brevet consulté par la revue spécialisée Music Business Worldwide. 

N’importe quel mélomane peut se voir attribuer le rôle d’adopteur précoce. Il suffit qu’il ait écouté plusieurs fois certains morceaux d’un musicien “qui monte” durant un court laps de temps. D’après Music Business Worldwide, les facteurs déterminant les chances de réussite d’un jeune talent peuvent varier en fonction des genres musicaux. L’algorithme sera ainsi beaucoup plus exigeant avec des artistes spécialisés dans la pop ou le rap qu’un compositeur classique. 

Bien que Spotify n’ait pas encore indiqué quand ce dénicheur de talent pourrait voir le jour, il permettrait au service de streaming de marcher sur les plates-bandes des labels et des maisons de disques. Le numéro un du secteur le fait déjà depuis plusieurs années, porté par une génération d’artistes comme Frank Ocean, Chance the Rapper ou PNL désireux de maintenir leur indépendance. Spotify a commencé à proposer à certains musiciens d’être distribués directement sur sa plateforme dès 2018… avant de se raviser. 

La musique, une histoire d’algorithme ?

Si le service de streaming se défend de vouloir remplacer les maisons de disque, il n’est pas le seul à multiplier les initiatives pour devenir un véritable prescripteur de tendances dans l’industrie musicale. La start-up londonienne Instrumental en a fait sa grande spécialité. Elle s’appuie sur l’intelligence artificielle et le machine learning (apprentissage automatique) pour découvrir et évaluer le succès potentiel d’artistes indépendants. Ces avancées technologiques lui ont notamment permis d’anticiper le succès international de la reprise de Calum Scott de “Dancing on My Own” de Robyn. 

De son côté, l’entreprise Musiio a mis au point une invention connue comme “Hit Potential Algorithm” pour mesurer avec précision le potentiel de succès commercial d’un morceau. Elle s’appuie sur l’intelligence artificielle pour extraire des caractéristiques d’un fichier audio et les comparer avec celles de chansons particulièrement appréciées des mélomanes.

Mais peut-on réellement prédire quelles chansons seront des tubes et lesquels des flops ? Des chercheurs de l’université de Bristol en sont convaincus. En 2011, Dr Tijl de Bie et son équipe ont analysé les classements des 40 meilleurs singles du Royaume-Uni durant ces 50 dernières années, à l’aide d’un algorithme d’apprentissage. Ils ont découvert que plusieurs facteurs comme le tempo, la durée de la chanson et son volume sonore sont déterminants pour prédire la viralité d’un morceau. Ils les ont intégrés à un algorithme, qui peut déterminer avec un taux de précision de 60% si un single sera un succès ou s’il ne se hissera jamais au-delà de la 30ème place du hit-parade. La preuve, s’il en fallait encore une, que nous en sommes dans l’ère de la musique algorithmique.