Photographe colombienne installée au Luxembourg depuis huit ans, Luisa Maria Stagno s’est passionnée pour un sujet aussi insolite que fascinant : les pigeons de rue. À travers son projet Coupable ?, elle questionne la perception négative de ces oiseaux et leur place dans notre environnement urbain. Son travail, mêlant photographie et recherche, a abouti à un livre engagé et une exposition à Clervaux. Entre art, militantisme et exploration de la relation entre l’homme et l’animal, elle nous raconte son parcours et l’histoire de ce projet atypique.
Interview réalisée par Alina Golovkova / Photos Luisa Maria Stagno
Luisa Maria Stagno, qui êtes-vous et comment avez-vous atterri au Luxembourg ?
Je suis photographe colombienne et je réside depuis 8 ans au Luxembourg, au cours de ces années, je n’étais pas totalement installée au Luxembourg, car je faisais mes études de photographie et commerce. A l’heure actuelle, je vis et travaille au Grand-Duché de Luxembourg. J’ai découvert le Luxembourg car j’ai rencontré mon compagnon qui est de nationalité luxembourgeoise. Je vis et travaille dans ce beau pays.
Comment vous est venue la passion pour les pigeons et pourquoi avoir choisi ce sujet d’écriture ?
Je ne dirais pas que je suis passionnée par les pigeons, tous les animaux sauvages et domestiques me fascinent. Le projet de pigeons de rue a débuté par un heureux hasard lorsque j’ai rencontré des pigeons de race dans le Refuge d’animaux sauvages à Dudelange, il y trois ans et l’un d’entre eux, un beau pigeon blanc avec des pattes emplumés et une huppe m’avait fascinée au point de voir cette espèce autrement. Mais, si je retrace, mon histoire personnelle, ma volonté de faire quelque chose pour cet animal, est liée à l’histoire d’un pigeon que j’avais nommé Archi. Il était un jeune pigeonneau que j’avais trouvé par terre dans la rue. Il avait une malformation au niveau de pattes. Malheureusement, je n’ai pas pu le sauver et inconsciemment j’ai crée le projet de pigeons car je voulais montrer l’animal autrement et en quelque sorte sauver d’autres pigeons. Mon projet invite les gens à changer leur perception de cette espèce et la voir autrement.
Vous avez travaillé sur ce projet pendant deux ans, racontez-nous.
Le projet a débuté en 2019, à l’époque j’étais encore étudiante en photographie, on étudiait l’histoire de l’art et de la photographie. Nous faisions un cours sur Alphonse Bertillon le père de la photographie judiciaire. En parallèle je faisais un stage photographique au Centre de soins pour des animaux sauvages et j’ai eu l’idée de créer un projet où on allait avoir un mug-shot pour les pigeons, d’où le nom Coupable ? de ma série, car on blâme tellement le pigeon que je me suis dit qu’il fallait jouer sur cet aspect-là.
Dans la réalisation de ce projet mon plus grand défi était de le faire dans la rue. Pour cela, il a fallu mener des recherches sur les pigeons et apprendre à les connaître pour les photographier. Afin de mener à bien ce projet, je passais presque tous les jours dire bonjour aux pigeons des endroits choisis pour les photographier : Esch-sur-Alzette, Belval et Bonnevoie. Pour gagner leur confiance, ceci était impératif, car, s’ils ne se sentaient pas à l’aise, ils ne venaient pas sur mon fond mobile ou ils le contournaient. En outre, il a fallu, réaliser un travail de recherche sur notre relation avec le pigeon pour comprendre ce changement de perspective ainsi qu’étudier le pigeon en tant qu’espèce, son comportement, son environnement pour mieux le photographier.
Comment le projet s’est-il concrétisé ?
Ce projet n’aurait jamais vu le jour sans le soutien essentiel du Centre National de l’Audiovisuel qui m’a soutenue grâce à sa bourse en 2022. La réalisation du livre était un pari osé car travailler sur un animal qui a tellement de stéréotypes dans notre vision culturelle occidentale n’est pas chose évidente. C’est grâce à cette institution que j’ai pu me consacrer à mon projet corps et âme. Le projet a eu quatre étapes essentielles : les prises de vue allongée par terre dans la rue, la recherche du terrain pour apprendre quelles étaient les populations de pigeons que je pouvais photographier, l’écriture du manuscrit et ainsi que la recherche sur l’animal, le terrain et la relation de l’homme avec le pigeon, mais également la partie retouche numérique. Sur cette partie, j’ai énormément appris car j’étais confrontée à des défis techniques comme la restitution des détails des plumes, car même si le projet était fait dans la rue, les conditions d’éclairage n’étaient pas pareilles d’où l’usage de cette technique.
Vous exposez actuellement à Clervaux, parlez-nous de ce projet.
Aussi improbable que cela paraisse, mon projet de pigeon était quelque chose d’innovant et de différent. Pour cette raison, la Cité de l’Image à Clervaux et sa directrice madame Sandra Schwender ont montré un intérêt pour l’intégrer dans son projet d’exposition 2024-2025 qui s’appelle Novum Aspectum, qui est une phrase en latin (Nouvelles perspectives). Très tôt dans mes échanges avec la Cité de l’image, la question de la taille de portraits était très importante car on voulait changer la perspective réelle sur le pigeon. Le rapport à l’échelle et le jeu de regards qui changent car dans mon idée initiale ce n’est plus l’homme qui regarde le pigeon mais le contraire.


Vous dites que votre livre est un texte activiste pour les pigeons, en quel sens ?
Mon travail artistique mélange des belles images et la neutralité du texte. Avec mon projet de livre : La fascinante histoire du pigeon de rue, je questionne notre rapport aux concepts comme la beauté, la culture et la notion de saleté et la place des animaux dans la société humaine. Les pigeons dans la culture occidentale depuis quelques siècles sont nommés comme des “rats volants” en partie grâce au film Stardust Memories de Woody Allen et aux articles de presse où le pigeon transmettait l’ornithose aux humains (une conjonctivite). Je considère mon texte engagé car j’invite le spectateur à voir un animal “banal” autrement, à nous questionner sur notre histoire commune avec le pigeon car, pendant des siècles, il nous a servi, nourri et transporté des messages, mais dès lors que cet animal n’a plus d’utilité pour l’homme on le considère comme nuisible. Son statut de Res nullius : animal qui n’appartient à personne, me dérange, car en ce qui concerne le pigeon, légalement parlant, tout est permis et autorisé.
Quelle est la suite du projet ou quels sont vos projets à l’heure actuelle ?
Je travaille sur la suite consacrée à des pigeons de race où je fais le tour de l’Europe pour rencontrer des beaux pigeons. Dans ce travail, je questionne la modification de l’animal par l’homme et le rôle de la génétique car le pigeon a 17 300 gènes tandis que l’homme en a 21 000. J’explore les races de poules également car je suis fascinée par la diversité animale sauvage et modifiée par l’homme. En outre, je viens de m’installer dans mon premier studio photo au Creative Hub 1535° où je propose mes services aux particuliers pour faire des shootings photo de leur animal de compagnie ou ensemble, le maître et l’animal. Il met tient particulièrement à cœur d’offrir ce service, cela vient de mon expérience personnelle car l’un de mes plus grands regrets est de ne pas avoir eu un beau portrait de mon chien. D’autres projets, dans mon pays d’origine la Colombie, le Kenya et l’Inde se profilent. Ces projets m’intéressent beaucoup car je vais travailler sur des espèces sauvages et raconter leur histoire. Je m’intéresse également à ce qui se passe au Luxembourg et je travaille sur des projets sur des espèces menacées d’extinction à l’échelle locale.
Qui a participé à ce projet ?
Ce projet est l’ensemble d’heureuses rencontres et des gens qui m’ont soutenue et motivée. J’ai réalisé la plus grande partie du projet, mais sans leur temps et leur soutien, mon projet ne serait pas ce qu’il est aujourd’hui. J’ai eu une chance inouïe d’être entourée par l’équipe du CNA, et notamment Madame Michèle Wallerich qui fut l’une des premières personnes à soutenir mon projet. La Cité de l’Image qui m’a ouvert les portes de son exposition et Sandra Schwender qui a travaillé avec moi pour l’exposition. Kim Meyer qui a fondé l’association Staddauwen Lëtzebuerg, le Centre d’animaux sauvages de Dudelange avec sa directrice Jill Gaasch. Luc-Alain Giraldeau qui dirige l’Institut national de la recherche scientifique (INRS) du Québec, l’association PAZ, l’association AEHRO et tous les passionnés des pigeons qui m’ont aidée et mon époux et assistant photo Angelo Stagno. Chaque personne a apporté sa petite pierre et c’est pour cela que c’est un magnifique projet.
Plus d’informations sur le site de Luisa Maria Stagno.
Inscrivez-vous à notre newsletter pour découvrir tous les jeudis, des actus locales, des nouvelles tendances mode, des infos culture, business… C’est en un clic avec ce lien !