En quelques décennies, la recherche médicale n’a guère progressé face à la schizophrénie, une pathologie récemment exposée dans l’actualité française après la mort d’une infirmière tuée par un patient. Mais de nouvelles molécules pourraient enfin entrer en jeu.
Depuis vingt ou trente ans, “les traitements médicamenteux n’ont pas fondamentalement changé”, résume le psychiatre écossais Robin Murray, qui a consacré des décennies de recherches à la schizophrénie.
En France, ce grave trouble psychiatrique vient d’être mis en avant avec l’agression meurtrière cette semaine d’une infirmière à Reims par un patient schizophrène. Au risque de stigmatiser l’ensemble des malades.
“Tout le travail fait depuis des années pour essayer de dé-stigmatiser cette maladie, c’est balayé en 24 heures”, regrette la psychiatre Sonia Dollfus, soulignant le caractère “rarissime” de cet acte.
Pour la plupart des patients schizophrènes – estimés à une personne sur 300 dans le monde par l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) -, la maladie représente en effet d’abord un danger pour eux-mêmes, en particulier car la fréquence des suicides y est élevée (5%).
Plus largement, la schizophrénie, qui se traduit par une large palette de troubles délirants d’une intensité variable d’un patient à l’autre, perturbe souvent en profondeur leur vie personnelle et sociale.
Le traitement est complexe et associe généralement la prise d’un médicament avec une aide à la réintégration sociale ainsi qu’une psychothérapie.
Sur ce dernier plan, le suivi s’est amélioré ces dernières décennies, selon M. Murray, qui évoque un recul des thérapies psychanalytiques, inefficaces voire contre-productives face à de tels troubles psychotiques.
En revanche, sur le terrain médicamenteux, la donne est restée largement la même depuis de longues années. Or, par contraste avec d’autres troubles mentaux – notamment névrotiques -, la prise d’un médicament reste la pierre angulaire du traitement psychiatrique de la schizophrénie.
Mais après “un blanc à partir des années 2010 où les laboratoires se sont vraiment désinvestis de la psychiatrie (…), il y a vraiment de l’innovation”, constate Mme Dollfus.
Piste “prometteuse”
Dans l’immédiat, les nouveautés concrètes concernent le suivi des patients, avec par exemple le développement d’applications informatiques facilitant le contact avec son psychiatre, et le mode d’administration de médicaments déjà connus.
Ainsi, les autorités sanitaires américaines ont approuvé en avril un traitement développé par l’israélien Teva et le français MedinCell. La molécule, déjà bien connue des psychiatres, sera administrée par une injection et non plus par voie orale.
Le médicament peut ainsi se libérer progressivement dans l’organisme pendant plusieurs semaines, au lieu de nécessiter une prise quotidienne.
L’enjeu est de permettre un meilleur suivi médicamenteux alors que de nombreux patients sont conduits par leurs troubles à interrompre la prise systématique de leur traitement; selon plusieurs sources, c’était le cas de l’auteur de l’agression de Reims.
S’il s’agit d’une avancée prometteuse sur le plan thérapeutique, on ne peut toutefois évoquer une révolution comme le serait l’apparition de nouvelles molécules. Mais, sur ce terrain aussi, des progrès semblent enfin envisageables.
“Des médicaments, en cours d’exploration, sont vraiment intéressants de par leurs mécanismes d’action nouveaux”, explique Mme Dollfus.
Les molécules actuellement utilisées face à la schizophrénie se résument, pour l’essentiel, à un mode d’action unique: elles bloquent l’action de la dopamine, une molécule à l’action centrale dans le système nerveux.
Seulement, la dopamine semble jouer un rôle complexe dans la schizophrénie – à la fois excessif sur certains plans et insuffisant sur d’autres – et ces traitements, plutôt efficaces contre des symptômes comme des hallucinations, n’améliorent pas d’autres facettes de la maladie, tels la perte de la volonté ou d’un langage construit.
Face à ce constat, la recherche s’est récemment concentrée sur d’autres molécules, dont le mode d’action est plus large en régulant plutôt que bloquant la transmission de la dopamine tout en agissant parallèlement sur d’autres molécules potentiellement impliquées dans les troubles schizophrènes.
Sans permettre encore d’envisager une mise sur le marché immédiate, la recherche sur ces traitements, qui ciblent notamment une protéine dite TAAR1, en est à un stade avancé: des études de grande ampleur, dites de “phase 3”, commencent à enregistrer de bons résultats. “C’est une piste qui est vraiment prometteuse”, conclut Mme Dollfus.