Douleurs menstruelles invalidantes, sentiment d’isolement, difficultés à concevoir : l’endométriose touche une femme sur dix et reste pourtant sous-diagnostiquée. Souvent banalisée, cette maladie chronique peut avoir un impact considérable sur la qualité de vie, renforcé par l’incompréhension de l’entourage. Pourquoi le diagnostic prend-il autant de temps ? Quels sont les traitements disponibles ? Le Dr. Marc Stieber, gynécologue à la clinique Bohler, fait le point sur les avancées médicales et les solutions pour mieux vivre avec l’endométriose.

Interview réalisée par Alina Golovkova

Dr. Marc Stieber, gynécologue à la clinique Bohler

Pourquoi le diagnostic de l’endométriose est-il si long ? Quels sont les freins à un diagnostic plus rapide ?

L’endométriose est un véritable caméléon en gynécologie : elle se présente sous des formes et intensités différentes d’une femme à l’autre. Certaines patientes souffrent de douleurs intenses, d’autres n’ont presque aucun symptôme et découvrent la maladie par hasard lors d’une intervention chirurgicale effectuée pour une autre raison.

Si certains cas sont visibles grâce à l’échographie vaginale ou l’IRM, d’autres nécessitent une coelioscopie sous anesthésie générale, une intervention invasive qui ne peut être pratiquée systématiquement. En l’absence de symptômes sévères, il est difficile de justifier un tel examen, ce qui retarde souvent le diagnostic.

De plus, la tendance à banaliser les douleurs menstruelles, contribue à ce retard. Il est essentiel que les professionnels de santé écoutent attentivement les récits et symptômesdes patientes.

Avez-vous constaté une évolution dans la reconnaissance de cette maladie au Luxembourg, notamment en termes de prise en charge médicale et sociale ?

Oui, la reconnaissance de l’endométriose a progressé ces dernières années. Les gynécologues sont mieux formés et prennent les symptômes au sérieux. La maladie bénéficie également d’une reconnaissance sociale et politique accrue. Le Ministère de la Santé et la Direction de la Santé ont engagé plusieurs discussions pour améliorer sa prise en charge.

“Sur le plan administratif, la CNS a introduit un code de diagnostic spécifique à l’endométriose.”

Dr. Marc Stieber, gynécologue à la clinique Bohler

Quels sont les premiers signes qui doivent alerter une femme et l’inciter à consulter ?

Les douleurs menstruelles intenses et persistantes, qui reviennent à chaque cycle et résistent aux anti-inflammatoires, doivent être un premier signal d’alerte. Des douleurs pendant les rapports sexuels, qui s’intensifient avec le temps, sont également un symptôme fréquent.

Autres signes révélateurs : une aggravation des douleurs après l’arrêt de la pilule, car les contraceptifs hormonaux ralentissent souvent l’évolution de la maladie. Enfin, la difficulté à concevoir peut être un indicateur.

Dans les formes plus rares, la maladie peut toucher le système digestif ou urinaire et entraîner du sang dans les selles pendant les règles, ainsi que des douleurs au niveau du rectum ou du colon.

Quels sont les examens les plus fiables pour poser un diagnostic précis ?

L’examen clinique, incluant un toucher vaginal et rectal combiné, peut déjà donner des indices.

L’échographie vaginale est souvent utilisée en première intention pour repérer des lésions sur les ovaires, l’utérus ou les trompes. L’IRM permet d’identifier des atteintes plus profondes et non visibles à l’échographie.

La coelioscopie sous anesthésie générale reste l’examen de référence pour poser un diagnostic définitif. Elle permet d’observer directement les foyers d’endométriose et, si nécessaire, d’opérer immédiatement.

Que pensez-vous du test salivaire proposé par le laboratoire Bionext pour diagnostiquer l’endométriose ?

Ce test génétique permet de rechercher des marqueurs associés à l’endométriose. Il s’agit d’une approche intéressante, mais encore en cours d’évaluation scientifique. Actuellement, la Société Européenne d’Endométriose et la European Society of Human Reproduction and Embryology (ESHRE) estiment qu’il est trop tôt pour une commercialisation généralisée.

Son principal problème est qu’un résultat négatif ne signifie pas nécessairement l’absence de la maladie. De plus, il ne remplace pas un examen médical et coûte cher (800 €). En cas de test positif, un diagnostic médical par imagerie ou coelioscopie reste nécessaire.

Quels sont les traitements disponibles au Luxembourg et sont-ils efficaces sur le long terme ?

Le traitement hormonal (pilule ou stérilet hormonal) est la première option. Il vise à stopper les cycles menstruels pour éviter l’inflammation chronique de l’endomètre.

Si cela ne suffit pas, on peut envisager une ménopause artificielle, temporairement induite par des médicaments. Toutefois, pour être remboursé par la CNS, ce traitement nécessite une confirmation du diagnostic par coelioscopie.

Enfin, dans les cas sévères, une chirurgie par coelioscopie permet d’éradiquer les lésions et d’améliorer la qualité de vie des patientes. Toutefois, sans suivi hormonal, des récidives peuvent survenir.

Pourquoi observe-t-on plus d’endométriose aujourd’hui ?

“Les médias sociaux influencent fortement les choix de contraception et la perception des traitements hormonaux. De nombreuses patientes refusent aujourd’hui la pilule, souvent présentée comme dangereuse ou néfaste, alors qu’elle joue un rôle essentiel dans la prévention de l’endométriose.”

Dr. Marc Stieber, gynécologue à la clinique Bohler

Cet abandon croissant des contraceptifs oraux a coïncidé avec une augmentation des diagnostics chez les jeunes femmes. Par ailleurs, le stérilet en cuivre ne protège pas contre l’endométriose, seul le stérilet hormonal peut avoir un effet bénéfique.

Autre facteur clé : le nombre de menstruations au cours d’une vie. Il y a 50 ans, une femme avait en moyenne 15 fois moins de règles qu’aujourd’hui. À l’époque, les grossesses précoces et répétées, ainsi que l’allaitement prolongé, réduisaient le nombre de cycles menstruels. Aujourd’hui, les femmes ont des enfants plus tard et connaissent bien plus de menstruations avant d’avoir une grossesse, ce qui favorise le développement de l’endométriose.

L’endométriose a-t-elle un impact systématique sur la fertilité ?

Pas toujours. Certaines patientes parviennent à concevoir naturellement, même avec une endométriose avancée.

Dans les cas plus sévères, la chirurgie peut libérer les organes reproducteurs, et la PMA (procréation médicalement assistée) offre des alternatives comme la fécondation in vitro. Pour les patientes jeunes avec une endométriose agressive, la congélation des ovocytes ou du tissu ovarien peut être envisagée pour préserver leur fertilité future.

La ménopause apporte-t-elle une rémission naturelle ?

Dans la majorité des cas, oui, puisque l’endométriose est liée aux cycles menstruels. Cependant, certaines femmes subissent une hystérectomie avant la ménopause pour être définitivement soulagées.

Que pensez-vous des approches complémentaires (naturopathie, ostéopathie, acupuncture, etc.) ?

Ces approches peuvent apporter un soutien dans la gestion de l’endométriose, notamment en soulageant la douleur et en réduisant l’inflammation. Cette maladie chronique entraîne souvent une sensibilisation accrue des récepteurs de la douleur, ainsi qu’un état inflammatoire persistant dans le bassin.

Une prise en charge pluridisciplinaire est essentielle. Outre le suivi gynécologique, certaines patientes bénéficient d’un accompagnement par un urologue, un chirurgien digestif ou un physiothérapeute pour relâcher les tensions musculaires. La gestion de la douleur chronique peut aussi nécessiter l’intervention d’un anesthésiste spécialisé. Sur le plan psychologique, un soutien est parfois nécessaire, car l’endométriose peut impacter la fertilité, la sexualité et la qualité de vie sociale.

Enfin, des ajustements du mode de vie peuvent améliorer le bien-être des patientes. Des études ont montré les bienfaits du yoga, de la relaxation et d’une alimentation anti-inflammatoire pour limiter les douleurs et mieux vivre avec la maladie.

Quel est l’impact de l’endométriose sur la vie professionnelle ?

L’endométriose peut grandement affecter la vie professionnelle des femmes qui en souffrent. La douleur chronique rend parfois difficile, voire impossible, le maintien d’une activité régulière, entraînant un absentéisme répété qui peut être mal compris par les employeurs et les collègues.

“Ce manque de reconnaissance se retrouve également à l’école, où les jeunes filles concernées sont parfois confrontées à un manque d’écoute face à leurs douleurs, souvent minimisées par des remarques du type « c’est normal d’avoir mal » ou « avec un peu d’effort… ».”

Dr. Marc Stieber, gynécologue à la clinique Bohler

Des initiatives politiques, comme l’instauration d’un congé menstruel de deux jours par mois, ont été envisagées, mais leur application pose question. Comment déterminer qui peut en bénéficier ? L’enjeu principal reste une meilleure sensibilisation du grand public et du monde du travail à l’impact réel de cette maladie.

Où en est la recherche sur l’endométriose ?

Ces quarante dernières années, la recherche sur l’endométriose a considérablement progressé, révélant une maladie bien plus complexe et multifactorielle qu’on ne le pensait. Elle s’est avérée être un véritable caméléon, prenant des formes variées, parfois évolutives, parfois dormantes, rendant son étude particulièrement difficile.

Malgré les avancées, il est encore difficile d’aboutir à des conclusions définitives. Toutefois, les progrès réalisés permettent une meilleure compréhension des mécanismes de la maladie et ouvrent la voie à des traitements plus ciblés et efficaces.

Que faut-il retenir ?

  • L’endométriose reste une maladie complexe à identifier, ce qui génère une grande frustration chez les patientes qui ne se sentent pas toujours écoutées et prises en charge. Une approche centrée sur l’écoute et la transparence est essentielle : expliquer clairement les options thérapeutiques, accompagner les patientes sans leur faire de fausses promesses, et instaurer une véritable relation de confiance entre soignants et patientes.
  • La prévention joue également un rôle clé, notamment chez les jeunes femmes. La pilule contraceptive, souvent critiquée, a pourtant des effets protecteurs contre l’endométriose et peut prévenir son développement lorsqu’elle est prescrite précocement.
  • Enfin, une prise en charge multidisciplinaire est essentielle pour traiter l’endométriose de manière efficace. Au-delà des symptômes physiques, l’endométriose peut aussi avoir un impact psychologique important, notamment sur la fertilité et la sexualité, entraînant parfois des troubles anxieux ou dépressifs. Le soutien d’un psychologue ou d’un psychiatre est alors essentiel pour accompagner les patientes, souvent confrontées à une incompréhension sociale et un isolement lié à la maladie. Une approche globale, prenant en compte à la fois la douleur, les conséquences médicales et l’impact émotionnel, est indispensable pour offrir aux patientes une meilleure qualité de vie.

Cette interview a été initialement publiée dans le Femmes Magazine numéro 264 de mars 2025.