Texte par Cadfael

Faut-il ou non un impôt sur la fortune plus conséquent au Luxembourg ? Est-il opportun de taxer l’héritage en ligne directe ? C’est un article de Reporter du 4 septembre dernier, ainsi que les déclarations de Frank Engel, président du CSV, qui ont relancé ce sujet très sensible.

Dans ce débat on retrouve les habituels ministres idéologues des partis socialistes et écologistes en faveur d’une fiscalité plus juste selon eux. Cette fois-ci ils reçoivent le soutien M. Engel leur nouvel allié de la droite chrétienne. Le CSV, parti qui peine à̀ trouver ses marques, a de suite rappelé son président à l’ordre.

Devenir riche sans travailler ?

L’accession à la propriété, la concentration de la propriété immobilière à des fins de revenus et les droits d’héritage en ligne directe constituent des sujets qui fâchent rapidement. Lorsque l’on regarde l’index des prix immobiliers hors inflation et en prenant l’année 2015 pour base 100 Eurostat nous apprend qu’en 2019 cet index est à 106.51 points pour la Belgique, 106.83 pour la France. Le Luxembourg marque à 124.11, l’Allemagne à 124.49 et le Portugal à 134.79. Ce dernier pays est sujet à une spéculation immobilière hors normes avec des coûts sociaux et politiques lourds.

La « Note 23 de l’Observatoire de l’habitat » à Luxembourg qui date de 2019 sur bases de chiffres qui eux remontent à̀ 2016, détaille les concentrations de terrains constructibles entre les mains de personnes privées : «Sur la base des données mobilisées dans ce rapport, il est possible d’estimer que le top 1% aux possessions foncières à la plus haute valeur (159 personnes physiques) détient 25,1% de toute la valeur aux mains de personnes physiques, ce qui revient à̀ environ 21,4 millions d’euros de terrains pour chacune de ces personnes physiques. » Le potentiel en hectares fonciers détenu par des personnes physiques est estimé à 2144 ha ce qui représente 72.5 % du constructible national.

Selon un article paru dans le FAZ du 24 juillet de cette année il y aurait à Luxembourg 300 fonds immobiliers qui gèrent une fortune estimée à 80 milliards d’Euros. On note que le nombre de fonds a baissé de 344 en 2017  à 321 fin 2019 mais que leur encours a augmenté́ de 57.7 mia à 82,2 milliards sur la même période. Le site statista.com nous enseigne que Luxembourg détient 10 % des encours des fonds d’investissements non cotés en Europe et vient en quatrième position après l’Allemagne, la France et les Pays bas. Est-ce la solution pour « devenir riche sans travailler » comme le postule Reporter ?

Des corrections nécessaires.

Ce slogan facile oublie que l’industrie des fonds d’investissements fait actuellement partie de nos « ressources » nationales et que notre pays est dans une dynamique de pays riche dont le modèle s’essouffle. Il paye des frais de trente ans de vide en matière de politique de développement du territoire et d’absence du législateur qui a autorisé la création d’un vivier de spéculation immobilière, permettant grâce à des réseaux souvent opaques, de créer des « turbomillionaires » aux dépens de ceux qui vivent, travaillent et doivent de se loger au Luxembourg Redresser la cap est nécessaire mais pas à l’instar d’un Thomas Picketty, star d’une gauche française donnant des leçons à l’Europe. Il est considéré par une certaine classe d’intellectuels comme porteur d’un graal de justice économique via une fiscalité magique prenant à ceux qu’il considère comme riches et distribuant à ceux qui font partie de ses pauvres. La réalité européenne est différente, l’impôt sur la fortune et de fait sur l’immobilier ainsi que la fiscalisation de droits d’héritage n’ont jamais créé une justice sociale.

Un nouveau populisme de gauche ?

À Luxembourg, certains rêvent suivre le modèle français, unique en Europe, avec une double fiscalité sur l’immobilier : une taxe foncière et une taxe d’habitation. Faut-il instaurer comme le réclame la Friedrich Ebert Stiftung de Berlin, berceau idéologique d’une gauche socialiste luxembourgeoise, un registre international des fortunes une idée de Picketty et de son fidèle disciple Gabriel Zucman. Il est vrai que le Luxembourg dispose de structures telles que les fonds d’investissement spécialisés qui allègent de manière substantielle la fiscalité de de détenteurs de multipropriétés. Il est également vrai que les détenteurs de réserves foncières, souvent d’anciens terrains agricoles devenus constructibles par le jeu des plans d’aménagements, méritent une vision fiscale adaptée à une démocratie de pays moderne stimulant une utilisation intelligente et solidaire de ses ressources foncières. Une concentration immobilière à des fins de plus-values exorbitantes est nocive au bon fonctionnement d’un pays comme le montre notre réalité quotidienne. 

Sous-jacent il y a un débat de société : la propriété privée comme symbole d’une société dans laquelle les valeurs de la démocratie libérale et de libre entreprise vont plus loin que des votations électoralistes. L’accession à la propriété doit demeurer un rêve accessible à tous.
Combien de taxes une société démocratique, juste et libérale peut-elle supporter avant de se transformer en un modèle dans lequel  toute entreprise privée deviendrait synonyme de vol et d’appropriation illicite ?
Nos socialistes et écologistes seraient-ils en train de développer une sorte de populisme de gauche afin de récolter des votes ? « Les stratégies populistes restent un outil essentiel pour mobiliser les masses peut-on lire sur le site de la gauche parisienne universitaire bon chic bon genre « Le vent se lève » le 16 juin dernier. « Le lien entre la gauche et le populisme n’a rien de neuf » proclament ses auteurs qui se réfèrent explicitement à Gramsci.

Une politique nationale sur la bonne voie

Le gouvernement de Bettel a trouvé certaines clefs pour débloquer la situation du logement mais c’est insuffisant. Il faut travailler un modèle fiscal qui impose plus fortement la multipropriété destinée au rendement financier. Il convient de – stimuler les foyers qui ont besoin de loger et de créer un patrimoine raisonnable afin de prévoir un futur parfois incertain. L’accession à la propriété demeure un des rares moyens d’économiser et de laisser un patrimoine à ses enfants. Il existe beaucoup de membres de société civile pour qui, un toit sur la tête n’est pas un jouet financier. Taxer l’héritage serait un retour vers un début de précarisation des citoyens normaux. Il conviendrait que nos responsables politiques de gauche reconstruisent pragmatiquement un croissance économique en gardant sous les yeux un taux de chômage des jeunes de moins de 25 ans affichant 26.1 % selon Eurostat. Il vaudrait mieux travailler que de tirer des plans sur la comète rose. Rendons à̀ César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu ! 

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