L’Union Européenne est devenue ce que de Gaulle appelait « le machin » en parlant des Nations Unies : une structure complexe et souvent opaque, où des pouvoirs se construisent sans les contrôles habituels des démocraties parlementaires. L’Irlandaise Emily O’Reilly et l’institution de l’Ombudsman européen sont devenus un contrepoids au service des citoyens.

Par Cadfael

Une irlandaise pugnace

Élue une première fois en 2013 par le Parlement Européen au poste d’ombudsman, elle est réélue pour un second mandat en 2019. Auparavant, cette universitaire irlandaise s’était fait un nom comme journaliste politique pugnace dans son pays, avant d’assumer pendant dix ans les fonctions de médiateur irlandais et de commissaire à la liberté de l’information. Le 30 septembre, elle a donné une réception d’adieu à Bruxelles, son mandat se terminant officiellement en février 2025. Troisième personne à exercer cette fonction, après des prédécesseurs plutôt ternes, elle a réussi en 11 ans à conférer une visibilité et une force à cette institution, devenue aujourd’hui l’observatoire et le chien de garde du bon fonctionnement des agences et institutions européennes. Son objectif, selon Euronews, est de « rendre les institutions et les décideurs clés plus accessibles et responsables envers les citoyens ordinaires. » Elle se décrivait elle-même comme une petite unité avec un grand mandat, et non comme un modeste bureau « qui gère de petites plaintes et courbe l’échine. » Cela ne semble pas plaire à tout le monde, en particulier à la Commission. Pour rappel, la Commission est le bras exécutif de l’Union européenne. Organe collégial et indépendant, elle dispose de pouvoirs étendus. Elle est démocratiquement responsable devant le seul Parlement européen, qui la contrôle et peut la congédier dans son ensemble, bien que cela soit peu probable. En effet, le groupe le plus important au sein du Parlement européen, le PPE, est politiquement affilié à la présidente de la Commission, qui a tenté en vain de bloquer un second mandat pour O’Reilly.

La corruption

Le 10 octobre dernier, Mme O’Reilly a tenu une conférence sur le thème de la corruption en Europe. « La question de l’éthique publique et de l’intégrité des hauts fonctionnaires est un sujet très pertinent et opportun du point de vue de l’UE. Les institutions de Bruxelles et de Strasbourg sont actuellement engagées dans le processus de nomination des nouveaux commissaires, processus qui comprend la vérification par le Parlement européen des commissaires proposés, en cas de conflits d’intérêts potentiels. » L’allusion au Qatargate, l’affaire de corruption bruxelloise impliquant, entre autres, une vice-présidente du Parlement européen, est claire. Depuis fin 2022, la justice belge reste silencieuse sur cette affaire. « C’est pourquoi j’ai beaucoup insisté dans mes enquêtes sur la protection de l’intérêt public européen contre ces formes de corruption plus insidieuses, plus subtiles, qui – si elles ne sont pas maîtrisées – peuvent aboutir à des défaillances de l’intégrité systémique. Un exemple est le conflit d’intérêts créé par le pantouflage entre le secteur privé et le secteur public, où d’anciens politiciens et hauts fonctionnaires sont embauchés par des entreprises pour exercer des pressions sur leurs anciens collègues ou fournir des informations confidentielles d’initiés. »

Une machine de combat

Autrefois qualifiée de « décorative », elle a réorganisé en profondeur l’office de l’Ombudsman. Elle a féminisé le personnel et réduit de moitié le temps de traitement des dossiers. Selon les experts, elle en a fait une machine de combat, tout en évitant soigneusement d’empiéter sur les prérogatives de la Cour des comptes ou de l’OLAF, l’Office européen de lutte antifraude. Elle serait à l’origine de la création d’un « nouvel organisme interinstitutionnel de l’UE chargé des questions d’éthique ». Parmi les points forts de son mandat, on peut noter qu’elle a accusé l’ancien président de la Commission, José Manuel Barroso, de « mauvaise administration » après que celui-ci a accepté un poste très bien rémunéré chez Goldman Sachs International. Barroso, qui avait accusé en 2013 l’Irlande d’être un problème pour l’Europe, a vu son intégrité remise en question par cette décision. Le rapport d’O’Reilly sur le chef de cabinet de Juncker, l’Allemand Martin Selmayr, l’accusant d’avoir enfreint la législation européenne, tant dans la lettre que dans l’esprit, lors de sa nomination au poste de secrétaire général de la Commission, ainsi que sa demande de publication des messages échangés entre Ursula von der Leyen et le PDG de Pfizer concernant le vaste contrat de vaccins avec l’Europe, sont des affaires toujours en cours. Qu’il s’agisse du respect des droits de l’homme, de la politique européenne en matière de réfugiés, en particulier via Frontex, l’agence de soutien au contrôle des frontières, son leitmotiv reste la demande d’une plus grande transparence et d’une responsabilité accrue des organes et administrations européennes.

Une succession difficile

Dernière initiative en date, et un legs à son successeur, la Médiatrice vient d’ouvrir une enquête d’initiative pour évaluer « la manière dont la Commission européenne applique ses règles concernant les “groupes d’experts”, qui rassemblent des spécialistes externes chargés de fournir des conseils à la Commission dans différents domaines d’action. En particulier, le Médiateur cherche à évaluer la transparence de ces groupes, notamment en ce qui concerne leur composition et leurs délibérations. » Comme le commentait une parlementaire néerlandaise : « Son héritage n’a pas de prix. Elle a transformé l’office de l’Ombudsman européen en un formidable chien de garde démocratique et a instauré de nouveaux standards en matière de transparence et d’éthique. »

©Photo : Europe Ombudsman