Née et élevée au Luxembourg, Debbie Kirsch ne se destinait pas à la mode durable… Pourtant, c’est bien dans la valorisation des matériaux et du travail courageux de femmes indiennes qu’elle a trouvé sa voie en fondant la jeune marque très en vue Devï Clothing. Son showroom est un espace d’échange, d’ambition, de lumière, de couleurs et de réflexion vertueuse. À l’image de sa créatrice, de ses partenaires du bout du monde, et de l’événement exceptionnel qui y sera organisé ce 13 mai…

Par Fabien Rodrigues / Photos : Devï

Alors qu’elle étudie la biologie à Bruxelles, Debbie Kirsch décide de prendre la route des Indes pour son année de césure afin – originellement – de monter un projet environnemental autour du coton bio avec des fermiers indiens, dans l’état du Jodhpur. « Je ne savais pas vraiment quoi faire de ma vie, aucun projet ou aucune spécialité ne m’avait encore vraiment appelée. Je suis donc partie pour en savoir plus sur moi, et même si l’idée initiale ne s’est pas réalisée, c’est bien en Inde que j’ai découvert ce que j’allais faire de ma vie ! », confie-t-elle avec un large sourire indéboulonnable. Car, alors qu’elle est sur place, Debbie va faire une rencontre qui va l’émouvoir et la toucher au plus haut point : l’ONG Saheli Women, fondée en 2015 et gérée par Madhu Vaishnav, une figure de la région en matière sociale et civique, et qui a pour but de répondre aux nécessités et d’offrir des moyens de subsistance aux femmes du village de Bhikamkor, souvent ostracisées pour diverses raisons…

Une mentore et un appel

Debbie débute alors un stage auprès de ces femmes battantes et trouve en Madhu une mentore naturelle : « Madhu vient d’une bonne caste, mais en raison de ses traits, de sa silhouette et de sa couleur de peau sombre, qui correspond plutôt à des castes inférieures en Inde, elle a longtemps été mise à l’écart. Trop longtemps même, et elle en a eu assez… Elle s’est donc donné pour mission d’aider les autres femmes aux situations difficiles, dans une ancienne bâtisse familiale laissée à l’abandon à la campagne ». Madhu devient alors au fil des années une figure fédératrice pour les « outkasts », telle une véritable mother dans la culture vogue/ballroom, très médiatisée depuis peu.  « C’est l’amour, le pouvoir et l’admiration que j’ai trouvés auprès des femmes de ce centre qui ont complètement changé mon chemin et ont conduit à la création du monde coloré et plein d’amour de Devï ».

L’atelier produit alors des étoffes de luxe pour de grandes marques mondiales afin de générer des revenus et un safe space pour les Saheli Women, qui font sortir Debbie de sa zone de confort : nouvelles odeurs, langue inconnue, traditions locales… Mais elle tombe amoureuse des étoffes et des couleurs, tout comme de l’approche 100% upcycling, « une nécessité pour elles ». Debbie se décide alors sur son projet et propose de créer à leurs côtés, des mois durant, des petites productions simples à base de belles étoffes récupérées – des chutes de soie et des pashminas authentiques – afin qu’elles puissent acquérir les compétences de design nécessaires à un rythme plus soutenu. « J’ai toujours été adepte de la réappropriation des matériaux des circuits courts et de l’upcycling car j’aime une mode colorée qui a du sens et qui raconte une histoire au-delà du vêtement. ». Elle collabore alors avec «Master J», qui procure des ateliers de couture et de patrons.

Elle revient alors en Europe et crée la marque Devï dans son Luxembourg natal, où elle reçoit les créations régulières de ses partenaires indiennes et les propose tout d’abord via plusieurs pop-ups de la Ville de Luxembourg avant de se sédentariser à quelques pas du Royal Hamilius, rue Aldringen, où elle travaille aujourd’hui avec son amie créatrice Lara.

Pas deux comme ça

À l’image de la démarche de Debbie Kirsch et de sa boutique, qui arbore fièrement une grande devanture fleurie multicolore dans un hyper centre de la capitale parfois bien morose, les créations Devï sont absolument uniques. C’est leur première histoire : de par l’étoffe utilisée pour l’upcycling, il n’y en a pas d’autre pareille dans le monde. « De plus, afin de transmettre encore plus fidèlement l’histoire qui se cache derrière un vêtement Devï, j’essaye toujours de le fournir avec une photo de celle qui l’a créé. Je propose ensuite que la cliente ou le client (ndlr. Oui, oui, il y’a aussi des pièces pour hommes !) à prendre une photo habillé.e de son acquisition, que j’emporte alors avec moi là-bas lors de mon voyage suivant ». L’émotion et le circulaire, opposé au linéaire contemporain de plus en plus vide de sens, c’est l’autre histoire pleine de valeur de sa marque selon Debbie. Le «share to value» comme elle l’aime l’appeler. Ce qui en fait des tenues particulièrement adaptées pour des moments importants et des événements particuliers, mais aussi pour une bonne dose de soleil au quotidien.

« J’ai envie de parcourir le monde pour découvrir de nouvelles étoffes qui me subjugueront et se retrouveront dans mes créations. »

Debbie Kirsch

Pour entrer un peu plus en détail du processus, Debbie parle de co-créations, et même de pièces d’art : elle choisit les matériaux qui seront utilisés, mais laisse le soin à ses partenaires de Saheli Women de décider pour quelles pièces l’étoffe est destinée. De ce fait, le résultat final est une surprise, jusqu’à la réception au Luxembourg ! Bien sûr, il y a quelques « ratés », que l’on découvre tout de même sur un portant dédié et estampillé « Oops » à l’étage inférieur du showroom. Mais la quasi-totalité des créations reflète les savoir-faire communs et/ou complémentaires mis en jeu dans cet ambitieux projet. « Il ne faut pas penser que nous vendons des fringues indiennes, c’est très loin de ça », insiste la jeune luxembourgeoise de 28 ans…

Enfin, si on s’envole rapidement vers le Rajasthan, l’entreprise sociale semble porter ses fruits puisque Debbie Kirsch confie que le nombre de femmes travaillant dans l’atelier est passé de 20 à ses débuts à 75 aujourd’hui, quelque cinq ans plus tard. Debbie se rend sur place un mois par an pour préparer les saisons à venir et constater l’évolution du projet, « même si on s’appelle toutes les semaines avec grand plaisir, bien sûr ».  

Un lien entre passé et avenir

La marque Dëvi représente actuellement un véritable pont entre le passé et l’avenir de sa jeune fondatrice Debbie Kirsch. Dans le premier cas, cette dernière peut profiter de son background scientifique pour et en green marketing et les mettre en application de manière directe. Ils constituent aussi une aide pour être prise au sérieux ainsi que pour sensibiliser la clientèle, mais que, aux impacts sur la santé et sur l’environnement que peut avoir la fast fashion. « Ces formations me permettent aussi d’être très observatrice et d’éviter le green washing malheureusement un peu trop présent sur cette scène. Le mot sustainable est utilisé à tort et à travers, c’est assez pénible et il faut voir plus loin. Je sais que les vêtements que je propose au showroom viennent d’Inde, et pas par magie. Il y’a un coût que je connais, que j’assume et que j’essaye de compenser au maximum ».

Une pensée lucide que Debbie traduit par exemple en garantissant aux Saheli Women un salaire juste et une flexibilité dans le rythme de production en fonction de leurs besoins ad hoc, en prenant en charge les frais de scolarité pour leurs enfants ou encore en finançant la présence d’un médecin et d’un gynécologue sur place, à l’atelier, deux fois par mois. « Le but est non seulement de prendre soin d’elles, mais aussi de leur faire réaliser l’importance de tels services, dont elles n’ont parfois pas conscience… ».

« Le mot sustainable est utilisé à tort et à travers, c’est assez pénible et il faut voir plus loin. Éviter le green washing. »

Debbie Kirsch

Quant à l’avenir, il se dessine déjà à l’international avec des pop-ups des points de vente à Amsterdam, à Vienne et à New York, « où la démarche Devï est accueillie avec beaucoup d’enthousiasme », mais aussi au Luxembourg à court terme avec un grand événement organisé avec le collectif L’Art de, le samedi 13 mai prochain au showroom Devï. Des créatifs de tous bords y exposeront leur travail dans les différents espaces : mode, musique, cocktails, création florale… Et l’event se clôturera par une petite « celebration after party » bien amenée à l’étage inférieur, courtesy of L’Art de et leur programmation toujours très pointue.

Puis continuera l’aventure Devï, avec le développement des ventes en ligne, « pour l’instant minimes, chaque pièce étant unique », mais aussi la mise en place de nouveaux partenariats, en commençant par le Maroc si tout va bien. « J’aime la relation que j’ai avec Saheli Women, mais je n’oublie pas pour autant que je suis créatrice d’entreprise, passionnée de mode durable et j’ai envie de parcourir le monde pour découvrir de nouvelles étoffes qui me subjugueront et qui se retrouveront dans les créations circulaires, responsables et colorées de Devï. Ce n’est que le début ! ». Et on n’a pas de mal à le croire…

Smart Thanks On The Block

« On dit qu’il faut tout un village pour élever un enfant. Dans mon cas, j’avais besoin de tout mon entourage pour créer Devï. Un immense merci à tous les fournisseurs en Inde, nos clients, nos amis et ma famille qui ont eu la même vision que moi pour ce projet et qui m’ont toujours encouragé à continuer. Je remercie de tout mon cœur: Lara, Julie, Ludi, Selina, Giulia et Megan qui m’ont guidé et soutenu dès le début. Madhu et toutes les Saheli Women pour leur collaboration et pour avoir lancé Devï avec moi. La Ville de Luxembourg et Jean-Marie Ferber pour leur soutien via la dynamique Pop-Up et pour m’avoir aidé à ouvrir ma propre boutique. Et finalement, mes parents, mes frères et mon copain pour savoir toujours m’encourager à réaliser mon rêve. »

Un concentré de news mode, de bons plans et d’exclus, de rencontres avec des cheffes d’entreprise et des créateurs en une newsletter Femmes Magazine chaque mardi et jeudi ?

C’est en un clic avec ce lien !