Par Cadfael

Comme tous les ans l’Académie Nobel a désigné ses lauréats. Le 8 octobre dernier, le Nobel pour la paix a été décerné à deux journalistes. Il a été conféré à Maria Ressa, originaires des Philippines et à Dmitrij Muratov, journaliste russe, « pour leurs efforts en faveur de la liberté d’expression, une condition essentielle pour la démocratie et la paix durable. 

Lors de la traditionnelle cérémonie de remise des prix ce 10 décembre, jour anniversaire de la mort d’Alfred Nobel en 1896, la présidente du comité Nobel a souligné que : « Dans un monde idéal, la démocratie et les libertés individuelles devraient être accessibles à tout le monde. Malheureusement ce n’est pas le cas au niveau mondial. La démocratie est sous pression et en régression. La liberté d’information et de parole décline partout. Malheureusement nous voyons des démocraties abandonner les idéaux démocratiques et glisser vers l’autoritarisme. /…/ une presse libre et travaillant sur les faits est en première ligne dans la défense des valeurs démocratiques, de la liberté d’expression et d’information. Son rôle est de révéler des agressions et des abus de pouvoir ».

Le choix de deux journalistes travaillant dans un environnement hostile à la liberté comme lauréats pour le Nobel de la paix 2021 a mis en exergue que « les deux participent à une guerre où les mots sont leurs armes, la vérité, leur objectif et, où chaque révélation d’un abus de pouvoir est une victoire »

Un antidote contre la tyrannie

Lors de la remise officielle les lauréats les deux se sont exprimés dans leur allocution d’acceptation.

Mme Maria Ressa, 58 ans, journaliste aux Philippines est la fondatrice de la plateforme de presse numérique d’investigation « Rappler ». Elle a révélé que dans son pays, on lui avait collé une dizaine de procédures pour lesquelles elle risquait au moins une centaine d’années de prison, rien de moins pour la faire taire. En créant la plateforme Rappler en 2021, elle s’inspirait d’une pièce de monnaie qui symbolise notre écosystème de l’information avec d’un côté le journalisme traditionnel avec son code d’honneur et de l’autre, le monde de la technologie et des réseaux sociaux qui permet « au virus du mensonge d’infecter le monde » tout en siphonnant ces recettes publicitaires tellement nécessaires à la survie d’une presse libre. Elle appelle à la création d’une organisation à l’instar des Nations Unies, destinée à défendre de nouveaux codes de valeur sur base de la déclaration universelle des droits de l’homme.

Le discours M. Dmitrij Muratov, 59 ans, journaliste russe, était marqué par le même constat pessimiste d’un monde se distançant des démocraties. « Nous étions tenus dans l’illusion que le progrès pouvait être réalisé à travers la violence et la technologie et non pas par les droits de l’homme et les libertés. /…/ les idéologues d’aujourd’hui promeuvent l’idée qu’il faut mourir pour son pays et non pas vivre pour lui. » « Nous sommes des journalistes » souligne-t-il, « et notre mission est claire : séparer les faits des fictions. La nouvelle génération de journalistes sait comment utiliser le big data et les banques de données. »

Dans ce discours devant l’assemblée Nobel, il cite l’opposant Alexeï Navalny « qui est détenu en prison sur base d’une fausse accusation de la part du CEO de la branche russe d’une grande société de cosmétiques français ». Des centaines de journalistes sont estampillés comme agents de l’étranger par le pouvoir, ce qui signifie selon M. Muratov, plus de travail en Russie ; c’est l’émigration programmée.

Et la liberté de presse en Europe

Dans le classement mondial de la liberté de la presse 2021, établi par Reporters sans Frontières (RSF), le Luxembourg a régressé de trois positions par rapport à l’année précédente pour se retrouver à la 20e place. En 2013 et 2014 le pays était en 4e position sur 180 pays, une lente descente aux enfers ? Dans le commentaire de RSF, on peut y lire : « Une relative transparence s’est installée progressivement, mais le besoin en information face à des ressources limitées provoque régulièrement des goulots d’étranglement ralentissant sa circulation. Les expertises sur lesquelles se basent l’exécutif ne sont publiées qu’accidentellement. Structurellement, la presse luxembourgeoise est limitée dans son action par la dimension restreinte d’un pays où ses intérêts entrent vite en conflit avec ceux des décideurs et agents économiques. »

On ne peut pas décemment affirmer qu’il y ait une volonté de museler la presse au Luxembourg de la part du pouvoir politique. Cependant, il est légitime de se poser la question si l’aide à la presse telle qu’elle est appliquée au Grand-Duché n’est pas un accélérateur de cette descente aux enfers en rendant l’expression de la liberté de presse plus difficile pour ceux, vraiment libres, qui ne sont pas liés aux décideurs et agents économiques.

En ce qui concerne nos voisins la Belgique est a la 11e place, l’Allemagne à la 13e, la France a la 34e place du classement. Le Portugal lui se trouve à la 9e place.

De la chair à canon pour despotes

En 2021 on aura vu la mort de 40 journalistes et 362 emprisonnés. Lorsqu’on y ajoute les journalistes citoyens et les collaborateurs, on arrive au chiffre effarant de 48 personnes tuées et 488 personnes emprisonnées.

À toutes fins utiles, on notera que le magnat de la presse de Hongkong, Jimmy Lai et d’autres, viennent d’être condamnés. M. Lai a pris a 14 mois de prison pour sa participation à une veillée souvenir en mémoire du massacre de la place Tien An Men. Motif officiel : non-respect des règles anti coronavirus !