Le célèbre festival Passages prendra à nouveau ses quartiers à Metz, Place de la République, du 10 au 19 mai prochain. Fidèle à son cadre de biennale, le format ne change pas vraiment, les collaborations entre établissements culturels messins non plus, tandis que sa ligne artistique, elle, s’envole vers de nouveaux horizons.
Trouvant, à dessein, de nouvelles ressources théâtrales au Sud du monde, Passages met l’Afrique au cœur de son projet, ouvrant l’opinion à voir ce continent d’une autre manière : comme un territoire qui bouge, évolue, vit, fait et s’émancipe, et ce, grâce aussi à son spectacle vivant.
Un peu d’histoire
A l’origine Festival des théâtres à l’Est de l’Europe et ailleurs, Passages a été fondé en 1996, à Nancy, inspiré par l’envie de créer des rencontres autour du théâtre. Porteurs du festival, Charles Tordjman et Jean-Pierre Thibaudat n’avaient alors qu’une seule ligne directrice en tête, celle de bâtir des ponts, de créer des… passages. Il s’agissait de construire les chemins vers d’autres théâtres. L’idée dominante semblait être une découverte de nouvelles façons de penser le théâtre dans un monde qui commençait déjà sa lente et douce descente aux enfers. « Nous étions avant tout curieux d’aller là-bas, “de l’autre côté“ de ce qui nous séparait de cette autre Europe avec cette certitude qu’il valait mieux trinquer et apprendre vite les mots “à la vôtre“ plutôt que ceux de “guerre froide“ ou de “nous, en Occident…“ Passages était et reste cette utopie. » Par la richesse des créations qui sont proposées, par l’ensemble des personnes qui s’y côtoient, l’initiative a très vite pris des allures de festival, pour s’imposer aujourd’hui comme une manifestation référence et unique dans le genre. Dorénavant, Passages se tourne vers le monde et cette année cap au Sud, en Afrique et autour…
Combattre les clichés sur l’Afrique
Hocine Chabira, directeur artistique du festival, ne cesse de se scandaliser des propos et clichés que l’on porte sur l’Afrique et à raison. Les Trump, « pourquoi est-ce que toutes ces personnes issues de pays de merde viennent ici ? », évoquant nations africaines et caribéennes, Sarkozy « l’homme africain n’est pas assez rentré dans l’histoire », dans son discours à Dakar en 2007, ou encore Macron « Quand des pays ont encore aujourd’hui sept à huit enfants par femme, vous pouvez décider d’y dépenser des milliards d’euros, vous ne stabiliserez rien. » en marge du G20 en 2017, méprisent ce continent et en font, tout entier, un stéréotype. C’est dans ce sens, que le Festival Passages tente de résorber les idées fausses, en apportant aux consciences, un moyen de comprendre l’Afrique autrement que par les politiques et leur bêtise. Ainsi, avec 1,3 million d’euros investis, Passages se positionne à nouveau comme une référence en matière de festival du spectacle vivant et se permet le luxe d’entrer dans le débat sans pour autant nous faire la morale.
Une programmation haute en couleurs
« Théâtre, danse, cirque, concerts et poésie », balance au milieu de son programme le Festival qui ne cache pas son jeu. Passages, c’est le théâtre, oui, mais c’est plus largement le spectacle vivant global. Tout ce qui « montre sur scène », qui « fait ou rassemble public », en gros… Et cette année risque de faire foule : la programmation est variée – avec de nombreuses pratiques et approches confondues –, accessible – proposant des spectacles généralement courts, aux formes plus légères – et relativement abordables. Car même si la programmation de l’Arsenal affiche des prix plus « lourds »… le reste de la programmation, Place de la République et à l’Opéra, ne dépasse pas les 20 sous ou 15 si l’on en prend trois… De plus, Passages offre de nombreux spectacles comme Trans-maitre(s), À tout hasard, La Milice de la Culture, La maladie du Machrek, No Panication et l’ensemble des concerts sont en entrée libre et Passages aligne un joli line up, avec Lucia de Carvalho, Mélissa Laveaux, Mary May, etc.
Côté Place de la République, on retrouve ce village nomade installé là durant 10 jours. Les chapiteaux ont été revus, notamment celui de la buvette qui offre maintenant un espace immense couvert d’un toit transparent, c’est chic. Deux spectacles fils rouges suivent le festival de bout en bout, Musée Bombana de Kokologo de Pasacal Rome et avec Athanase Kabré, une fresque drôle et curieuse qui déjoue quelques clichés sur l’Afrique du système D ; et Ethiopian Dream du circus Abyssinia, un spectacle de cirque qui fera assurément salle comble sur les 5 jours. Derrière, se profilent plusieurs spectacles tels que Babel Guyane du Théâtre de l’Entonnoir sur le racisme Haïtien en Guyane, Les Verdicts Guyanais de la même compagnie qui aborde cette fois l’évolution d’une certaine jeunesse guyanaise, X-Adra de Ramzi Choukair, où plusieurs femmes Syriennes exilées s’expriment, Aliénation(s) de Françoise Dô qui nous conte les migrations martiniquaises en métropole dans les années 60 et Tandem – Terra Patrum de la Compagnie TGNM qui remplace The Fall au pied levé.
De nombreux projets artistiques annexes se bousculent aussi au portillon, comme des expositions Pascal l’Africain de Pascal Maître à la Galerie de l’Arsenal, Photos d’Identités un projet mené par « notre chouchou » Claude Somot avec six jeunes de la Mission Locale du Pays Messin, d’Ici et d’Ailleurs, une expo’ de photos de commerçants de Metz, signées cette fois Claude Somot, le Court-Toit des Courtisans qui est là partout et qu’on ne présente plus, Les écoutes radiophoniques des prix RFI ou encore les Apéros-Décontruction menés par l’anthropologue Serge Mboukou.
L’Opéra Théâtre récupère le spectacle Play du Studio Oyunculari et ses 15 comédiens sur scène, d’après le trio amoureux de Beckett, tandis que deux spectacles s’incrustent à l’Espace Bernard Marie Koltès : l’hybride Pandora’s Box de Monika Dobrowlanska, Philippe Malone et Akos Nemeth, dont on n’arrive pas à nous dire grand chose si ce n’est la thématique « montée du nationalisme » et la portée internationale du projet ; et le magnifique Le Quatrième Mur de la Compagnie Adesso e sempre qui s’empare de la figure d’Antigone sur fond de confrontation idéologique et réalité libanaise.
Et finalement, on a un petit faible pour la programmation de la Cité Musicale qui envoie quand même du lourd… Avec And so you see…, un spectacle de la grandiose artiste Robyn Orlin conçu comme « un requiem pour l’humanité » et donnant un regard sur le corps, l’homosexualité, l’homophobie, le sexisme, le racisme ; Monstres / On ne danse pas pour rien de DeLaVallet Bidiefono qui propose une danse puissante et délicate sur fond d’influences métissées d’Afrique, d’Europe et d’Amérique ; ou encore des concerts comme celui de l’Algérien Mohamed Lamouri, Images d’Afrique ou Voyage en Algérie.
Le Festival Passages est, c’est un fait, une institution. On peut difficilement débattre de la bienveillance de son équipe dévouée et courageuse. Ce qui est pourtant palpable, dans un festival comme celui-ci, c’est la nature du débat qu’il provoque, posant des questions au vaste champ de réponse, mais surtout ouvrant à la découverte, aux rencontres et au partage. Dis comme ça, on se croirait Place St Pierre devant le type en blanc, mais parfois, même si c’est kitsch, il est bon de rappeler qu’on est juste tous humain.
Outre pour l’Espace Bernard Marie Koltès et la Cité Musicale, la billetterie ouvre le 2 avril, mais la programmation est déjà en ligne, le temps de plancher là dessus et de composer votre medley de spectacles…
Toute la programmation est disponible ici !
Godefroy Gordet