Par Cadfael

« Le gouvernement de la Russie est entre des mains très curieuses ». Aujourd’hui cette phrase n’étonne plus personne, sauf peut-être les partisans de Poutine. Mais voilà, elle a été prononcée en 2000 lors d’une conférence tenue par Otto de Habsburg, député européen et président de l’Union Paneuropéenne Internationale. Fondée en 1926, celle-ci est l’ancêtre des mouvements européistes, soutenue à l’époque par des intellectuels comme Stefan Zweig ou Robert Rolland.

On ne voit que ce que l’on veut bien voir

Héritier de la couronne austro-hongroise, chassé du trône en 1918 par la dissolution de l’empire, décédé en 2001, ce politicien conservateur et membre du Parlement européen a été très clair quant à la personnalité de M. Poutine. « Il est quelqu’un avec qui il faut compter ». Lors d’une rencontre en 1990 avec d’anciens détenus de la prison de Bautzen en RDA, prison ayant aussi bien servi aux forces soviétiques d’occupation qu’aux services de répression politique de l’Allemagne de l’Est, le maître du Kremlin a été décrit comme répressif et très cruel.

En 2005, Otto von Habsburg soulignait une nouvelle fois publiquement que l’« Europe avait un grand problème avec Poutine ». Déjà en 2000, il avait pointé du doigt les budgets militaires russes qui avaient doublé en cinq ans et les annonces très claires de Poutine qui voulait faire de son pays la première puissance mondiale. Il le définissait comme « un technocrate froid et calculateur, un fossile du KGB ».

« Il y a de petits signes instructifs qui ne trompent pas : l’hymne russe qui reprend une mélodie composée en 1937 à la gloire de Staline en changeant juste le texte, la réapparition du drapeau rouge ainsi que la ville natale de Poutine où se développe un véritable culte de la personnalité identique à celui mis en place sous Staline ».

« Penser que l’Europe est entrée dans une ère de paix est faux » avertissait-il. « Il faut penser en premier lieu à la sécurité en Europe et de cette manière on pourra préserver la paix. L’histoire se répète. On observe exactement les mêmes mécanismes ».

« Quant au personnage de Poutine, il dénonçait déjà ses camarades de lycée aux services sécurité. Cette proximité lui permettra de devenir membre de la police secrète à l’âge de 23 ans. » Son parcours d’accession au pouvoir et ses méthodes sont typiques d’un mode de pensée et d’action inculqué dans les écoles de l’ancien KGB, rebaptisé depuis lors SFB. Les mêmes personnages l’accompagnent depuis lors dans sa mise en place d’une dictature, tous des anciens du KGB reconvertis en façade, détenant des fonctions politiques et économiques comme Igor Sechin, patron de Rosneft, considéré comme un des plus puissants de Russie ou Medvedev, chef de Gazprom et Premier ministre ou président par alternance. Il y en a bien d’autres des « oligarques cleptocrates » qui sont vitaux à la survie du clan Poutine et au fonctionnement de l’économie.

« La Russie est le pays le plus impérialiste qui soit, il va des îles Kouriles d’un côté et s’arrête aux rêves d’une récupération les états baltes » concluait von Habsburg en 2005. Et il n’était pas le seul. Cette culture historique et la lucidité face au loup déguisé en mouton auraient permis à Mme Merkel et à ses conseillers de l’époque d’éviter, en 2008, de dire non à l’adhésion de l’Ukraine à l’OTAN, une époque où l’armée russe était loin de sa puissance actuelle. L’Europe aurait probablement esquivé bien des déboires politiques, économiques et militaires.

Le massacre de Boutcha

Découvert ce 1er avril, il a eu lieu lors de l’occupation de la ville par les forces russes qui a duré un mois. Selon des témoins directs cités dans les médias allemands, il n’y avait initialement que des soldats russes, souvent jeunes, qui se comportaient plutôt correctement. À un certain moment une quarantaine d’hommes, en uniformes noir ou vert foncé des forces spéciales et du FSB, ont fait leur apparition. Des soldats russes auraient mis en garde les habitants. La suite est connue, une démonstration de force brutale afin de casser le moral des Ukrainiens : le massacre de plusieurs centaines de personnes. Le Kremlin nie, Poutine parlait ce mardi encore d’un montage et d’une fake news. Ses déclarations sont destinées à cette Russie profonde où la propagande du régime fonctionne et avec la bénédiction de l’Église orthodoxe.

La terreur comme outil de gouvernement

L’horreur délibérée et l’extermination de groupes sociaux, ethniques ou religieux comme outil de pouvoir ne sont pas une nouveauté dans l’histoire. Rappelons-nous des massacres de la St Barthelemy en France en 1572 où les catholiques assassinaient plus de 6 000 protestants. Les pogromes de juifs n’ont-ils pas marqué l’Europe depuis l’antiquité ?

Boutcha, dernier massacre en date, rappelle singulièrement les massacres de Katyn de 1940 ou entre 15.000 et 20.000 officiers polonais ont été exécutés. La doxa officielle de Staline était que ce massacre était l’œuvre d’unités allemandes. Le régime nazi en fera un massacre exécuté par des juifs et lancera ainsi la pire des campagnes antisémites du régime. Katyn devenait la preuve que les juifs voulaient exterminer les peuples d’Europe. Staline mettra en place une commission d’enquête factice. Elle attribuera la responsabilité des assassinats aux forces armées allemandes, en se fondant sur le fait, jamais contesté, « que les balles avec lesquelles les prisonniers polonais avaient été exécutés étaient de fabrication allemande ».

C’est sur ordre direct de Staline que des tueurs spécialisés du NKVD, prédécesseur du KGB, ont fait la sale besogne avec des armes d’origine allemande. Pendant toute la période communiste, le régime n’aura cessé de nier ces assassinats, résultat d’un calcul politique visant à éliminer de futurs opposants à une occupation de la Pologne par l’armée rouge. Ce sera la glasnost lancée par Gorbatchev qui permettra la publication d’archives soviétiques. À partir de 1991, ils initieront un processus qui portera en 2010 la Douma russe à reconnaître la responsabilité directe de Staline dans le massacre.

Après ses diverses déroutes, Poutine a besoin d’un succès militaire. La soldatesque russe, continuera à cogner, à violer, à piller et à massacrer avec plus de brutalité encore, en ciblant le Donbass, afin de satisfaire son maître.

La justice des hommes sera-t-elle un jour assez puissante pour juger les coupables ?