Quand les parents perdent en autonomie, c’est un souci important pour les enfants qui se demandent tous les jours, si cela se passe bien, et qui, au moindre coup de fil inattendu, pensent déjà au pire. Alors même si à chaque visite de ses parents en maison de retraite, les enfants se disent qu’il s’agissait là de la meilleure, et de l’unique solution, le sentiment de culpabilité reste ancré et ne les quitte jamais. Alors quand éclate le scandale autour d’Orpéa… La lecture de l’ouvrage Les fossoyeurs de Victor Castanet fait froid dans le dos. Une vie de labeur pour terminer sa vie dans de telles conditions, est-ce réellement ce type de société que nous voulons. Avons-nous si peu d’égard pour nos aînés lorsqu’ils deviennent dépendants ? Nous avons, à ce propos, rencontré notre ministre de la Famille, de l’Intégration et à la Grande Région Corinne Cahen.
Par Maria Pietrangeli
Quelles sont les modalités pour une société qui souhaite ouvrir une maison de retraite ou un centre intégré pour personnes âgées pour obtenir un agrément ?
À Luxembourg, nous avons la loi ASFT, il faut remplir tous les critères et conditions exigés par cette loi. Cette loi prévoit par exemple que les chambres doivent avoir une taille minimum de 25 m2 et que l’accessibilité pour tous les résidents doit être possible partout dans l’établissement. Une nouvelle loi est en cours d’adoption et celle-ci va aller encore plus loin, elle sera plus exigeante. Par exemple, le (la) chargé(e) de direction devra avoir un certain niveau de luxembourgeois, un pourcentage du personnel devra avoir une formation en soins palliatifs, il y aura aussi 40 % du personnel qui devra avoir fait une formation psycho gériatrique.
Orpéa a reçu son agrément début novembre et le 3 nous recevions un communiqué de presse annonçant l’ouverture. La demande d’agrément doit donc se faire sur la base d’un local opérationnel ?
L’agrément ne se fait que sur la base d’un bâtiment déjà construit. Ils auraient pu aussi ne pas recevoir cet agrément. Si la loi est respectée, je dois pouvoir donner un agrément. Je dois moi aussi observer la loi.
Bien sûr Orpéa rentre dans toutes les cases et répond aux critères exigés par le Luxembourg, mais…
Nous avons demandé encore plus de garanties que ce que la loi exige. J’ai lu le livre de Victor Castanet Les fossoyeurs et je voulais être sûre que toutes les décisions soient prises au Luxembourg. Qu’ils s’agissent de ressources humaines, de décisions médicales ou de la politique d’accueil des personnes, elles sont prises par le chargé de direction à Luxembourg. Ce n’est pas Paris qui va décider de ce qui est acheté ni de la politique d’embauche. Dans le livre, on disait que dès qu’il y avait du personnel efficace on les déplaçait, ce ne sera pas possible ici on m’en a donné les garanties.
Mais je cite Dr Jean Claude Marian, fondateur d’Orpéa : « n’oubliez pas que l’on fait du parcage de vieux ». Cela donne une idée précise de la philosophe du groupe.
C’est pour cela qu’on parle de bientraitance dans la nouvelle loi. Ici, on appelle cela « Waarm sat propper chaud, bien nourri et propre ». Mais le « Warm sat propper » de la loi de 1999 ne suffit plus, il faut avoir une haute qualité de vie on ne parle pas de maltraitance, mais de bientraitance.
Que fait-on pour garantir la bientraitance dans les établissements de soins ?
La loi n’oblige pas à avoir des chambres très grandes parce que nous ne voulons pas que les gens passent leur temps dans leur chambre. Pour le reste il y a des activités, on voit du monde, etc… Je pense que c’est fondamental dans la nouvelle loi, ce concept de bientraitance.
Les résidents doivent pouvoir avoir à tout moment, et même s’ils sont en soins palliatifs, un projet de vie et une qualité de vie très haute. La loi a été avisée par le Conseil d’État, nous avons fait des amendements, elle est à nouveau au Conseil d’État et va être votée. Le projet de loi a été déposé en février 2020 donc avant la pandémie. Et pendant la crise sanitaire, nous avons vu qu’il fallait ajouter un comité d’éthique pour chaque maison parce que les questions éthiques sont très importantes et nous ne voulons pas laisser les soignants seuls avec ces questions.
Un exemple, un résident atteint de démence, est positif au covid, ne va pas comprendre qu’il doit rester isolé pour éviter de contaminer tout le monde. A-t-on le droit de l’enfermer à clef dans sa chambre ? C’est le comité d’éthique qui pourra répondre au cas par cas, aux différentes situations spéciales. Il sera composé d’au moins trois personnes, dont un médecin et une personne ayant une formation psycho gériatrique.
Qu’est-ce qui est financé par l’Etat dans une maison de retraite agréée ?
Une très petite partie. Les maisons se financent à travers deux volets, le premier c’est le prix de la chambre et le second c’est l’assurance dépendance. Le ministère de la famille ne finance rien aux maisons de retraite. L’assurance dépendance prend en charge la dépendance d’une personne selon un classement, elle finance des heures prestées dans le cadre de la dépendance.
Le ministère de la Famille, de l’intégration et à la Grande Région peut contribuer jusqu’à 70 % de l’investissement initial. Si un gestionnaire souhaite construire une maison de retraite, il dépose un projet, si celui-ci est viable et intéressant en termes de situation géographique, il peut y avoir un accord de principe. À ce moment-là, le ministère participe à la planification, suit le dossier pour que tout soit fait dans les normes, et dans ce cas précis la contribution peut aller jusqu’à 70 % du financement.
Est-ce que cela a été le cas pour Orpéa ?
Non, du tout.
Pour quelle raison le gouvernement donne un agrément à une société privée qui va être subventionnée et qui a clairement l’intention de faire du bénéfice sans contrepartie aucune ? On pourrait envisager une mise à disposition de chambre pour les personnes qui n’en ont pas les moyens ?
La contrepartie que je veux c’est que les gens soient bien traités. Nous avons l’accueil gérontologique qui aide financièrement les gens qui ne peuvent pas se permettre de payer une maison de soin ou de retraite. Je rappelle que l’agrément pour Orpéa est provisoire, comme pour toutes les maisons de soins. Tous les ans, nous effectuons des visites ainsi que l’assurance dépendance.
Deux contrôles par an, est-ce suffisant ? Est-ce qu’attendre une plainte, ce n’est pas trop tard ?
Il y a des contrôles par le ministère et par l’assurance dépendance. Nous nous déplaçons également lorsqu’il y a une plainte, mais nous pouvons aussi faire des visites à l’improviste. Même moi j’aime faire cela quand je suis aux alentours d’un tel établissement, je m’arrête.
Comment fonctionne le contrôle de l’utilisation de l’argent public, en l’occurrence de l’assurance dépendance et qui s’en charge ?
Ce sont eux qui le contrôlent.
Qui contrôle si la qualité des soins au sein d’un établissement est acceptable ?
Les résidents sont suivis par des médecins généralistes qui ne sont pas employés par les maisons mais qui y travaillent souvent. Encore une fois, nous sommes dans le concept de bientraitance et c’est ça le plus important. Je dis toujours et cela m’est reproché quand la porte est fermée, nous ne savons pas ce qui se passe derrière. Ce qu’il faut savoir c’est que dans ces maisons de soins, les gens vivent ensemble et quelques fois pendant des années. Il y a des liens qui se tissent, des amitiés qui se créent. Nous travaillons beaucoup sur l’isolement social. Une maison de soins peut être très bénéfique psychologiquement puisque les résidents ne sont plus seuls.
Quand on prend l’exemple de nos maisons de retraite à Luxembourg, il est difficilement envisageable que l’on puisse faire du bénéfice, mais de là à réduire les frais sur le dos des résidents tel que décrit dans le livre…
Je ne pense pas que cela soit possible ici. Tout le monde doit gagner de l’argent même les établissements publics afin de pouvoir investir. Ce que nous voulons, c’est que les gens soient bien traités. Je veux juste rappeler qu’Orpéa n’est pas le premier établissement privé qui vient à Luxembourg.
Orpéa France doit rembourser au gouvernement français 55,8 millions d’euros pour détournement de fonds publics et va devoir faire face à une plainte collective des familles des résidents, leur solidité financière va être mise à mal en France, et sans doute par ricochet à Luxembourg ?
Leurs problèmes financiers en France ne me regardent pas.
Mais ils ont également des plaintes en Belgique, est-ce que cela ne risque pas de faire boule de neige ?
La loi prévoit que s’il y a un problème nous pouvons faire appel à un autre gestionnaire pour reprendre la maison de façon à ce qu’il y ait une continuité des soins, de vie et de salaires pour les employés. Ce sont les résidents et le personnel qui sont au centre de nos préoccupations.
Ni Victor Castanet ni son éditeur n’ont reçu de plainte en diffamation. Le livre est d’ailleurs, dans certains passages, insoutenable…
J’ai lu le livre, je ne supporte pas que l’on maltraite des êtres humains, que ce soit des enfants, des adultes ou des personnes âgées. Ces dernières n’ont que peu de moyens de défendre, elles ont peur des répercussions. L’assurance dépendance classe les personnes selon des critères, et si par exemple il y a beaucoup de chutes cela peut signifier qu’il n’y a pas assez de personnel, etc…
Donner cet agrément envers et contre tout, vous avez l’opposition, l’OGBL et l’opinion publique contre vous, c’est courageux non à quelques mois des prochaines élections ? N’est-ce pas risqué ?
J’ai vraiment demandé toutes les garanties que je pouvais avoir, j’étais obligée de leur donner l’agrément. Si j’avais décidé avec le cœur et après avoir lu ce livre j’aurais dit non, mais dans un état de droit ce n’est pas comme cela que ça fonctionne. Il y a d’ailleurs un politique de l’opposition qui a affirmé : « moi jamais de la vie je ne le leur aurai donné ». Oui, mais Orpéa m’aurait attaqué au tribunal, à ce moment-là j’aurais en plus dépensé de l’argent du contribuable pour un procès que j’aurais perdu. Nous sommes dans un état de droit et ce n’est pas à moi de contourner les lois ou ne pas les respecter. Orpéa a livré tout ce qui était demandé, voire plus… Les électeurs aiment vivre dans une démocratie et dans un état de droit pas dans un état totalitaire dans lequel un (une) homme (femme) politique peut décider de tout.
Par principe de précaution, ne pouvait-on pas attendre le résultat définitif des enquêtes ?
Non, parce qu’ils ont livré dans le temps tout ce que nous leur avons demandé, nous sommes vraiment allés jusqu’à la fin de la période. J’ai demandé le maximum de garanties, il m’a fallu prendre une décision. Dès qu’un dossier est complet, le ministère a trois mois pour donner sa réponse. Nous pouvons prolonger deux ou trois fois de trois mois si c’est motivé et là nous étions arrivés au bout. Je n’avais aucun argument pour dire non.
Vous avez dit : « deux mandats de ministre de la Famille, de l’Intégration et à la Grande Région c’est suffisant », et que vous souhaitez appliquer vos principes. Êtes-vous intéressée par un autre ministère ?
Quand j’ai décidé d’entrer en politique, c’était parce que j’aimais travailler sur des projets, j’aime faire avancer les choses. Il y a plein de choses pour lesquelles, j’aimerais aider à faire avancer les choses, mais on verra. Ce n’est pas pour un titre, j’ai besoin d’un projet.