Le 2 juin, les Mexicains ont élu une femme au poste de présidente, une première dans l’histoire du pays. Claudia Sheinbaum, une scientifique de 61 ans, ancienne contributrice du Giec, succède à Manuel López Obrador dont elle revendique l’héritage social qu’elle veut pérenniser. L’un de ses principaux défis sera de lutter contre les cartels de la drogue, qui s’avèrent plus puissants que jamais. 

Par Fabien Grasser

Quelle que soit l’issue du scrutin du 2 juin dernier, les Mexicains étaient assurés de porter une femme à la tête de leur pays. L’élection présidentielle voit, ce jour-là, s’affronter d’un côté Xóchitl Gálvez, candidate d’une coalition de droite, et de l’autre Claudia Sheinbaum, leader d’une coalition de gauche, dominée par le Mouvement de régénération nationale (Morena), au pouvoir depuis 2018. Claudia Sheinbaum l’emporte finalement avec une confortable avance, en recueillant plus de 58% des suffrages, l’un des meilleurs scores jamais réalisés par un prétendant au fauteuil présidentiel. À 61 ans, elle devient la première femme à diriger le Mexique, un symbole fort dans ce pays de 129 millions d’habitants, profondément marqué par sa culture machiste et qui détient l’un des records mondiaux du nombre de féminicides, avec 10 femmes tuées par jour en 2023, selon l’ONU. 

Elle succède à Andrés Manuel López Obrador, surnommé Amlo, dont elle a accompagné la carrière pendant vingt-cinq ans et qui en avait fait son héritière politique. « Je ne vais pas vous décevoir, nous allons continuer à construire un véritable État-providence », promet-elle à l’annonce des résultats du 2 juin. Ces six dernières années, le programme social d’Amlo a extirpé plus de cinq millions de Mexicains de la pauvreté, grâce notamment au doublement du salaire minimum (environ 350 euros), de l’instauration d’une retraite universelle ou encore par le financement par l’État de grands travaux d’infrastructures. Incontestablement, Claudia Sheinbaum a profité de ces acquis et de la très forte popularité dont jouit le président sortant. Ses détracteurs la présentent volontiers comme une marionnette de ce dernier. 

Si elle doit beaucoup à Amlo, cette vision patriarcale de son ascension et de sa victoire à l’élection présidentielle sont réducteurs, car ces vingt dernières années, Claudia Sheinbaum a mené un inlassable travail de terrain, à la rencontre des Mexicains. Surtout, elle s’appuie sur son bilan de maire de Mexico, la capitale de 9 millions d’habitants, qu’elle a dirigée de 2018 à 2023. Pendant ce mandat, elle fait fortement reculer l’insécurité et met en place des programmes au profit des femmes pauvres et, plus généralement, des populations défavorisées. Dès son élection, elle proclame « l’alerte de genre » et installe des espaces pour protéger les femmes contre les féminicides et les violences domestiques. Elle désenclave les quartiers populaires par un ambitieux programme d’infrastructures de transports et crée des espaces verts et des pistes cyclables.

« Je suis une fille de 1968 »

Née à Mexico le 24 juin 1962, Caudia Sheinbaum grandit dans un contexte familial politisé. Ses parents sont des intellectuels, descendants de Juifs lithuaniens par son père et bulgares par sa mère, qui s’étaient réfugiés au Mexique pour fuir les pogroms et les persécutions dans les années 1920 et 1940. Au cours d’une campagne présidentielle où rien ne lui a été épargné, l’ancien président de droite Vicente Fox a rappelé ces origines, qualifiant la candidate « d’étrangère juive », propos relayés sur les réseaux sociaux où elle a fait l’objet de constantes attaques personnelles. 

Tout comme ses parents, Claudia Sheinbaum ne se revendique d’aucune confession religieuse dans un pays dont 80% de la population se réclame du catholicisme. Mais elle s’inscrit assurément dans l’héritage politique de gauche de sa famille. Ses parents ont activement participé au mouvement de 1968, qui avait été brutalement réprimé par l’armée, provoquant la mort de plus 350 étudiants lors du massacre de Tlatelolco, en octobre de la même année. « Je suis une fille de 1968 », aime-t-elle répéter. 

Claudia Sheinbaum s’engage dans le militantisme politique en 1982, à l’université nationale autonome de Mexico (Unam), où elle poursuit des études scientifiques dans le domaine de l’énergie. À la fin des années 1980, elle s’oppose aux privatisations et coupes sociales mises en œuvre dans le cadre des brutales politiques néolibérales qui ont gouverné le Mexique pendant plus de trois décennies. 

Sur le plan universitaire, elle complète son cursus dans la prestigieuse université de Berkeley, en Californie, et en 1995, elle devient la première femme mexicaine à obtenir un doctorat en sciences de l’environnement. Enseignante à l’Unam, spécialiste de l’efficacité énergétique, elle devient membre du Giec en 2007. Elle participe à la rédaction des quatrièmes et cinquièmes rapports d’évaluation de l’organisation scientifique onusienne. Sur le plan politique, elle rejoint Amlo en 2000 à la mairie de Mexico où celui-ci la nomme au poste de secrétaire à l’Environnemement, en raison de son profil professionnel. En 2011, elle participe à la création du parti Morena. Elle multiplie alors ses engagements politiques et renonce définitivement à sa carrière scientifique en 2015.

Changement climatique et droits des femmes

Lors des trois mois précédant l’élection présidentielle de cette année, Claudia Sheinbaum fait campagne dans les trente-deux États de la fédération mexicaine, passant d’un avion à l’autre et parcourant des milliers de kilomètres sur les routes de ce vaste pays de près de deux millions de kilomètres carrés. Elle se montre à l’écoute de la population et tente de la convaincre de lui accorder ses suffrages au cours de déplacements qui la mènent dans des villages reculés, dont les dirigeants politiques ne foulent habituellement pas le sol. Son style tranche avec les accents parfois populistes de son mentor Amlo, dont elle revendique néanmoins pleinement la continuité et l’héritage. 

Elle promet de poursuivre les réformes de progrès social initiées par son prédécesseur. « Je veux une meilleure qualité de vie au niveau social ainsi qu’un meilleur accès à la santé et à l’éducation », assure-t-elle. Elle veut mettre un accent particulier sur la lutte contre le changement climatique et le droit des femmes. Deux sujets qui n’étaient pas en tête des priorités de son prédécesseur. Claudia Sheinbaum s’engage en revanche à achever les grands travaux d’infrastructures déjà entamés, dont certains sont contestés pour leur impact environnemental. Il en va ainsi de la plus grande raffinerie du pays, à Dos Bocas, qui doit être inaugurée dans les prochains mois. Au cours de la campagne, l’ancienne scientifique du Giec ne s’est pas frontalement opposée à la politique du tout pétrole, prônée par le populaire Amlo pour assurer l’indépendance énergétique du pays. Elle promet néanmoins des investissements majeurs dans les énergies renouvelables et l’action qu’elle mènera dans ce domaine sera particulièrement scrutée. Elle assume en revanche pleinement la construction de la ligne des 1.500 kilomètres des lignes de chemin de fer Maya, dans la péninsule du Yucatan, et interocéanique, deux projets également contestés par des défenseurs de l’environnement pour leur impact sur la biodiversité.

Un enjeu sécuritaire, politique et diplomatique

Ces six dernières années, Amlo a fait reculer la pauvreté de 8% et a réussi à assurer d’importants débouchés économiques au Mexique, qu’il a hissé au rang de premier fournisseur des États-Unis. Il a toutefois lourdement échoué à endiguer la corruption et l’insécurité, deux phénomènes étroitement liés, qui minent le Mexique depuis plus de trente ans. La guerre des cartels de la drogue a fait plus de 180.000 morts au cours du mandat d’Amlo, soit en moyenne 30.000 assassinats par an. Du jamais-vu ! Ses tentatives de réformes institutionnelles pour lutter contre la corruption n’ont pas abouti. Les cartels, avec leurs dizaines de milliers d’hommes surarmés, sont plus puissants que jamais. Lorsqu’elle avait été maire de Mexico, Claudia Sheinbaum avait fait reculer le nombre d’homicides de 30%. Elle avait obligé les divers services de police, mais aussi la justice, à mieux collaborer entre eux et avait maillé le territoire de la ville de caméras de vidéosurveillance. Au cours de la campagne électorale, elle s’est appuyée sur ces résultats positifs pour déjouer les accusations d’une opposition l’attaquant largement sur le bilan désastreux d’Amlo.

Pour Claudia Sheinbaum, gagner la guerre contre les cartels est un enjeu sécuritaire. Ce sera aussi un élément déterminant dans la mise en œuvre de son programme de politiques sociales et économiques, tant l’extrême violence et le poids des narcotrafiquants peuvent les tenir en échec. Il en va aussi des relations du Mexique avec son grand voisin du nord, alors que les cartels contrôlent les filières migratoires clandestines par lesquelles des dizaines de milliers de latino-américains tentent de gagner chaque année les États-Unis. Ce sujet de crispation entre Washington et Mexico pourrait virer à la crise ouverte en cas de retour au pouvoir de Donald Trump, à l’issue de l’élection de novembre prochain. 

« Je veux qu’on se rappelle de moi comme d’une bonne présidente, tout simplement. Une bonne présidente appréciée du peuple, car cela voudra dire que j’ai travaillé efficacement pour le peuple », avance la nouvelle présidente. Les défis pour y parvenir sont considérables. Claudia Sheinbaum sera investie le 1er octobre prochain pour un mandat unique de six ans. 

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