Un an après avoir décroché la toute première étoile que le guide Michelin ait décidé d’accorder à une table végane, Claire Vallée dévoile dans un livre sa vision d’une gastronomie végétale et sourcée. Reprenant le nom de son restaurant ONA (Origine Non Animale), fermé depuis janvier dernier en raison de problèmes de recrutement, cet ouvrage de près de 300 pages offre une plongée savoureuse dans une cuisine sans impact ni pour la planète ni pour les animaux. Confidences d’une cheffe qui ne signe pas un énième livre de cuisinier, mais une sorte de guide pour dessiner l’avenir d’une assiette plus responsable.

En janvier 2021, vous recevez une étoile Michelin. Pour la première fois, le bibendum récompense un restaurant végan. Qu’avez-vous ressenti à l’annonce de cette décision ?

Claire Vallée : cela a été un très grand choc ! Je ne m’y attendais pas du tout. C’était en pleine période du Covid-19. On pensait que le guide Michelin ne décernerait aucune étoile. Des journaux du monde entier ont souhaité m’interroger et cela a pris une ampleur incroyable. Même le Michelin m’a confié qu’il ne s’attendait pas à ce que l’on en parle autant. Je ne savais pas si le guide Michelin penserait distinguer un restaurant comme le mien. Notre adresse est vraiment typée avec une carte à 100% végétale, mais aussi une salle qui ne contient ni cuir ni laine tandis que la carte des vins compte sur des références dont le collage n’est pas d’origine animale. En cuisine, nous n’utilisons aucun détergent qui a été testé sur des animaux.

Avez-vous le sentiment d’avoir impulsé un mouvement et donné envie à d’autres restaurateurs d’esquisser le même concept ?

C’est une des solutions pour envisager un avenir meilleur. La culture végétale dispose d’une profonde place dans notre société désormais. Mais, il faut aussi faire attention à ne pas entrer dans un extrémisme. Les transitions doivent s’opérer petit à petit. En France, les traditions culinaires sont très ancrées. Elles sont partie prenante du patriarcat. L’Homme est aussi fait pour évoluer. C’est moins compliqué de proposer cette vision de la cuisine dans des pays comme les Etats-Unis ou l’Allemagne. La génération de jeunes chefs est plus encline à travailler le végétal. J’espère que mon étoile aura éveillé les consciences de futurs cuisiniers. La meilleure façon de faire, c’est de proposer, pas d’imposer.

Cependant, n’est-ce pas réducteur de vous identifier uniquement comme la restauratrice du premier restaurant végan étoilé ?

Je n’aime pas les cases. Quand on pose des mots sur un concept, vous le cataloguez d’emblée. En France, on appréhende les choses différemment selon si l’on emploie le terme végétal ou végan. Et pourtant, c’est la même chose, si ce n’est que dans le deuxième cas les choix sont poussés un peu plus loin.

Un an après l’étoile, vous publiez un livre. Quand un chef fait bouger les choses comme vous, est-ce qu’à un moment donné, il est obligé de publier un ouvrage pour dévoiler ses recettes, ses techniques, présenter son art et sa vision culinaire ?  

J’ai commencé à travailler sur cet ouvrage il y a trois ans, donc bien avant que je ne décroche l’étoile ou que je décide de le fermer momentanément. Au fil des pages, vous pouvez ainsi observer l’évolution de ma cuisine. Plus de cent recettes le composent. Cela a demandé un investissement colossal, et donc du temps. Les toutes dernières qui ont été photographiées remontent au printemps. On peut remarquer que les recettes sont plus techniques, avec davantage d’engagement. Je vous rassure, il y a aussi des recettes accessibles.

À ce propos, vous dévoilez vos préparations qui sont des alternatives végétales à la crème et au beurre ou même au miel. Combien de temps cela vous a pris pour les mettre au point ?

Au début, on tâtonne. On travaille avec une petite équipe. On s’inspire des techniques d’ailleurs. On revoit ce que l’on prépare dès qu’on découvre de nouveaux ingrédients. Ces recettes sont une somme d’expériences. Le monde végétal est infini, bien plus que l’univers animal.

Vous utilisez tout un tas de variétés de végétaux pour apporter de la nuance dans votre cuisine. Quelle place les produits locaux prennent-ils ?

Ils sont présents à 90%. Chez moi, je fais pousser un poivrier de Sichuan. En France, nous trouvons de nombreux agrumes mais aussi du gingembre ou du curcuma. Et quand j’ai besoin d’importer des ingrédients, je m’en remets à un sourceur. Pour les épices, je connais un chercheur qui repère des variétés rares et qui sont propres sur le plan éthique, c’est-à-dire des travailleurs rémunérés correctement. Je ne travaille pas beaucoup de recettes à base de chocolat et de café. J’utilise davantage de pignons de pin par exemple, que l’on trouve localement.

Quel a été l’élément déclencheur qui vous a décidé de recentrer votre régime alimentaire sur des choix véganes ?

J’ai longtemps vécu en Asie. Lors d’un long voyage en Thaïlande où je suis restée une année, je me suis rendu compte que l’alimentation de la population était végétarienne, même s’il pouvait y avoir des choix autour du poisson et du porc. La culture bouddhiste l’amène à préférer le végétal. Les herbes et les épices apportent aussi énormément de goût à la cuisine. En conséquence, on trouve plusieurs alternatives comme le tofu, le seitan ou le tempeh. Je trouvais incroyable que toutes ces variétés végétales apportent cette richesse aromatique. Lorsque je suis rentrée en France dans le restaurant où je travaillais, je me suis rendu compte que mes assiettes devenaient de plus en plus végétales et que la viande devenait presque un accompagnement. Lorsque mon rejet de la viande et des produits laitiers fut trop prononcé, j’ai décidé de me lancer en ouvrant mon propre restaurant.

Aviez-vous le sentiment qu’il y avait une attente pour une restauration végane ?

Quand j’ai raccroché mon tablier au restaurant où je travaillais avant, je n’étais pas certaine que cela fonctionne. ONA a ouvert en octobre 2016. Cela a été compliqué de l’ouvrir. Aucune banque ne voulait me prêter. J’ai dû faire appel à une campagne de crowdfunding et j’ai profité de prêts de la part de la région girondine. Ce sont des bénévoles qui se sont occupés des travaux.

Aujourd’hui, de quoi se compose votre régime végétalien ?

J’ai été totalement végane durant près de dix ans. Cependant, lorsque vous allez dîner quelque part, c’est très compliqué d’imposer un menu végane à un confrère. Je ne consomme donc plus du tout de viande, mais il peut m’arriver de manger un poisson sauvage. Je vais privilégier les prises d’un petit pêcheur local et pas celles d’un chalutier par exemple.

“Originale Non Animale”, Claire Vallée, éditions du Chêne, parution le 16 octobre 2022, 59 euros