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Texte par Cadfael

Il aura fallu des décennies de batailles en tout genre pour qu’enfin les hommes reconnaissent aux femmes suisses le droit de vote. Le 7 février nous avons fêté le cinquantième anniversaire de ce moment fondateur.

Le mâle suisse ne veut pas lâcher prise

La constitution suisse du 29 mai 1874, la seconde de la Suisse moderne, était innovante dans le contexte de l’époque. Sous l’influence du parti libéral qui prend position contre le patriotisme étroit des cantons et le bloc religieux, elle instaure la liberté de la presse, la liberté de culte pour toutes les communautés religieuses (et non seulement pour les deux cultes chrétiens) et établit le suffrage universel. Mais voilà, le mot universel dans la vision des constitutionnalistes suisses signifie: uniquement réservé aux hommes, les femmes n’étant pas considérées comme dignes de voter.

Après des décennies de protestations féminines qui prennent les formes les plus diverses, dont une grève de trois jours, une nouvelle consultation populaire est décidée en 1957 afin de savoir si on pouvait donner le droit de vote aux femmes. Cet acte de pure tactique politique devait permettre de faire passer une loi de défense civile imposant les mêmes obligations « militaires » aux femmes comme aux hommes. Le droit de vote aux femmes est rejeté par 67% de non contre 33% de oui. Le parti des indépendants, le parti socialiste et le parti du travail étaient en faveur du oui. Les libéraux, les conservateurs démocrates-chrétiens et ce qui deviendra le futur parti populiste SVP étant de fait opposé. Paradoxalement sur un plan cantonal les cantons progressistes francophones de Genève, du Valais, de Neufchâtel seront en faveur du vote, le Valais en profitera pour introduire le vote féminin au niveau cantonal, Neufchâtel suivra et Genève le fera en 1960.

Un héritage de mai 68 ?

En 1968, lors des protestations étudiantes, le Conseil fédéral s’était enfin décidé à signer la Convention européenne des Droits de l’homme, entrée en vigueur en 1953, mais en excluant formellement le principe du vote féminin. Ce sera la goutte qui fera déborder le vase. Face aux mouvements d’opposition des femmes et aux contestations sociales souvent d’origine étudiante, les conservateurs confédéraux voient leurs positions s’effondrer et leur rigidité séculaire s’effriter.

En 1971, le Conseil Fédéral prend une décision révolutionnaire pour la société conservatrice suisse et impose une seconde fois la tenue d’un référendum national sur la question du droit de vote aux femmes. La votation qui suivra et à laquelle aucun parti n’osera s’opposer, verra une victoire du oui dans des proportions exactement inverses de celles du non en 1957. 34% de non et 66% de oui. Le 7 février 1971, le résultat est tombé, les femmes suisses pourront voter et la constitution devra être modifiée. En Europe il faudra attendre 1976 pour que le Portugal en fasse de même et 1984 pour le Liechtenstein.

Des cantons font de la résistance

Dans la lancée de ces résultats, la plupart des cantons instaureront le suffrage féminin au niveau des votations cantonales. Cette vision égalitaire de la société ne passera pas les hautes montagnes entourant certains cantons.

Le canton d’Appenzell Rhodes-Extérieures n’acceptera le vote cantonal pour les femmes qu’en 1989 à une très courte majorité. Son jumeau, le canton d’Appenzell Rhodes-Intérieures sera le dernier à instaurer le suffrage féminin, mais uniquement après une plainte de deux femmes ayant devant une juridiction fédérale. Ce sera une décision du 27 novembre 1990 qui forcera à changer les lois cantonales Le premier vote féminin pourra avoir lieu le 28 avril 1991

Les femmes suisses s’engagent

En politique l’engagement de femmes est important, au conseil fédéral il est passé de 32 % aux élections de 2015 à 42 % en 2019. Ce pourcentage est de 25 % chez nous. Les salaires ne suivent pas cette tendance. Le « bureau fédéral de l’égalité entre femmes et hommes » constate une différence de salaire de presque 20% pour le secteur privé et de pratiquement 17% pour le public.

Le bureau explique : « Les femmes gagnent moins que les hommes, entre autres parce qu’elles sont plus faiblement représentées dans des postes aux exigences élevées et dans des postes de cadre, parce que leur niveau de formation reste encore un peu inférieur en moyenne, et parce qu’elles sont plus nombreuses que les hommes dans des branches à bas salaires. » Il conclut que le privé demeure plus discriminant que le public.

Une constante demeure sans appel: « plus la position professionnelle et le niveau d’exigences sont élevés, plus le salaire est élevé, plus la proportion de femmes est faible, et plus l’écart salarial entre femmes et hommes est grand ». Cette analyse confédérale datant de 2016 reste valable aujourd’hui même si de petits progrès ont été faits. Elle peut d’ailleurs s’étendre à de nombreux pays européens.

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