Comédienne et femme politique, Christiane Brassel-Rausch est pleinement engagée dans sa mission de bourgmestre. Pourtant, elle ne se représentera pas aux élections pour retrouver du temps pour le théâtre et pour les siens. Femme de bon sens et de conviction, férue de philosophie, elle a enseigné les langues, cite Cervantès en montrant Don Quichotte et Sancho Pança à l’honneur sur sa fenêtre. Rencontre sympathique à l’hôtel de ville de Differdange le 2 décembre sous les premiers flocons.

Par Karine Sitarz

Vous vivez à Differdange, mais avez grandi à Esch-sur-Alzette. Quels souvenirs gardez-vous de votre enfance dans cette ville ?

Je me suis installée à Differdange en 1989 à mon retour au pays, c’est la ville de mon mari et c’était celle de mes grands-parents. Mes parents étaient partis à Esch-sur-Alzette après la guerre. J’y ai grandi. Je me rappelle du quartier italien, de la rue du Brill, si pleine de vie, et de l’Ecole du Brill où mes camarades étaient luxembourgeoises et italiennes. Je me demande parfois ce que celles-ci sont devenues. J’ai enchaîné avec le Lycée de Jeunes Filles et dès la 4e, pour apprendre l’espagnol, je suis partie au Lycée de Garçons.

Est-ce là qu’est née votre passion pour le théâtre ?

J’y ai eu comme professeur Ed Maroldt, qui, avec Gast Rollinger et Ad Deville, avait redonné vie à la troupe de théâtre du lycée « Les tréteaux de la chouette ». Il avait demandé qui voulait faire du théâtre, les filles étaient nombreuses à avoir répondu présentes. C’est comme ça que l’aventure a commencé, j’avais 15-16 ans. Plus tard, lors de vacances alors que j’étais étudiante en Autriche, une amie m’a parlé du Schluechthaus (ndlr : ancien abattoir devenu la Kulturfabrik) où Ed Maroldt avait signé sa première mise en scène et où Frank Hoffmann avait besoin de monde pour jouer dans la traduction luxembourgeoise de Guy Rewenig de « Victor ou les Enfants au pouvoir » de Roger Vitrac. J’étais partante comme de nombreux jeunes d’une génération qui avait envie de faire quelque chose.

Et vous êtes restée sur les planches ?

J’ai poursuivi mon petit tour du monde, France, Espagne, Tunisie, pour les études et le travail. Mais de retour en 1989, alors que je travaillais chez Luxair, j’y ai croisé Paul Kieffer qui cherchait des acteurs pour le « Renert » qu’il montait aux Capucins. C’était reparti… Mais je n’imaginais pas que comédienne serait mon métier ! Je me suis alors tournée vers l’enseignement comme beaucoup d’acteurs pour avoir un peu plus de temps pour répéter. On ne gagnait rien au théâtre, c’était du bénévolat, mais on le faisait avec amour !

Vous êtes donc devenue prof ?

J’ai enseigné l’espagnol et le français au Lycée Vauban et au Lycée des Arts et Métiers, pendant neuf ans. J’ai beaucoup aimé, mais enseigner, faire du théâtre et élever deux bébés presque jumeaux, car entretemps on avait adopté deux enfants, cela devenait difficile ! J’ai fini par quitter la fonction publique, décision prise avec mon mari, adorable, je le remercie encore.

Quand avez-vous su que la politique allait faire partie de votre vie ?

Mon père était engagé politiquement. On discutait à table de sujets d’actualité. Je me sentais plutôt de gauche et parfois on se disputait. Si l’intérêt est né à la maison, le bagage nécessaire à l’analyse est venu de l’école, grâce aux profs. En 1992, j’ai rallié la première liste dei gréng de Differdange, seul parti avec lequel je pouvais m’identifier, mais ce n’est qu’en 2017 que je suis entrée au Conseil. Je n’avais pas d’ambition particulière, non seulement Roberto Traversini n’avait pas l’intention de quitter sa place, mais surtout le rythme irrégulier du théâtre était incompatible avec celui tout aussi irrégulier de la politique.

En 2019, vous reprenez pourtant au pied levé le poste de bourgmestre de Differdange devenant la première femme à la tête de la troisième ville du pays. Quel regard portez-vous sur ces trois années ? Pourquoi arrêter ?

Au 1er septembre, je devais remplacer l’échevine Laura Pregno en congé maternité, une poignée de jours plus tard, Roberto Traversini démissionnait. Je m’étais engagée, il fallait y aller ! Peu de temps avant, j’avais poussé mon mari, enseignant, à prendre sa retraite, tout a donc été bouleversé chez nous. Trois ans plus tard, je peux dire que c’est une belle expérience et j’en suis reconnaissante. Au début, on me disait, tu n’es pas politicienne. Si cela veut dire être chef, je ne le suis pas, mais s’il s’agit de parler avec les gens, de travailler fidèle à un engagement, alors, je le suis. Il y a des choses qui ne fonctionnent pas et je me donne le droit de le dire, même si ce n’est pas politiquement correct. J’ai appris sur le tas avec le soutien d’une bonne administration et de gens qui ont voulu m’aider. J’ai l’impression que les gens ici apprécient ma façon de faire. Mais à 65 ans, il faut faire des choix.

Vos futurs projets… le théâtre ?

Oui, si on me veut encore sur scène (rires) ! Il y a aussi la famille qui souffre de ma vie actuelle. Je leur manque à la maison, surtout que je suis grand-mère depuis sept mois. J’ai toujours travaillé, je me suis toujours engagée, la décision n’a pas été facile, mais je l’ai prise pour moi et ma famille. J’ai été gâtée par la vie et la chance a joué parfois. Mais je m’inquiète. Quel impact la crise aura-t-elle ? Comment va-t-on réagir ? L’esprit de solidarité sera-t-il au rendez-vous ?