Loin d’être une malédiction divine, cette pandémie était parfaitement décrite dans un certain nombre d’ouvrages de prospective rédigés à l’initiative d’états ou de grands patrons de l’économie.

L’Organisation Mondiale de la Santé nous apprend que le syndrome respiratoire aigu lourd (SARS) associé au coronavirus (SARS-CoV) est apparu dans une première épidémie en 2002 dans la province de Guangdong en Chine. Avant l’actuelle pandémie le COVID est réapparu 4 fois dont 3 fois du fait d’accidents en laboratoires à Taiwan et Singapour et une fois en Chine du sud, cette fois – là probablement par transmission animale – homme, risque qui à l’époque était considéré comme faible.

La communauté américaine du renseignement s’en mêle

En 2009 aux Etats-Unis, le très puissant Conseil national du renseignement édite une étude intitulée Global Trends 2025 – A transformed world, popularisé par le livre d’Alexandre Adler, professeur et expert en géopolitique, sous le titre racoleur Comment sera le monde en 2025, le nouveau rapport de la CIA édité chez Laffont la même année.

Un exercice de prospective du plus haut intérêt, surtout qu’on y trouve un chapitre intitulé : « Potential emergence of a global pandemic » qui décrit l’émergence possible d’une pandémie globale, parmi les risques probables. On y lit que l’apparition d’une maladie hautement transmissible et virulente touchant le système respiratoire de l’homme et pour lequel il n’existe pas de contremesures pouvait initier une pandémie globale. Et le SARS – coronavirus – y est mentionné explicitement.

Le scénario est le suivant : le début de l’affection se situe dans des zones à haute densité de population et avec une forte proximité entre population humaine et animale comme il en existe dans beaucoup de zones en Chine et en Asie du Sud est. Ensuite on note une réponse lente des services de santé, l’attente de résultats en laboratoire, et parallèlement la dispersion par des voyageurs porteurs passifs ou aux symptômes non évidents. Les dégâts économiques et humains sont considérés comme importants. Exactement le type de risque qui mérite une préparation solide.

En 2013 une analyse de la Défense française

Depuis 2008 la République française rédige un « Livre blanc sur la Défense et la Sécurité Nationale » qui couvre le champ de la défense mais également celui de la sécurité nationale prenant en compte « la continuité des risques et menaces de toute nature ». Dans son édition de 2013 la question des risques sanitaires y est abordée dans une partie réservée au contexte stratégique et aux risques amplifiés par la globalisation et ses effets. La dernière mise à jour date de 2017.

En RFA, une étude spécifiquement civile

La même année 2013 le gouvernement fédéral allemand aborde le sujet dans un rapport détaillé destiné au Bundestag où il est question d’une analyse des risques en matière de protection des populations. L’angle d’approche n’est plus du domaine de la défense mais de la protection civile.

Le scénario décrit est celui d’une épidémie sur le modèle que nous vivons actuellement. Le coronavirus y est cité, mais à ce moment-là, éliminé puisque considéré comme non dangereux car non transmissible d’homme à homme. Les choses ont changé depuis. Le rapport allemand classe l’apparition du risque sanitaire pandémique comme peu imminent avec une probabilité faible.

Bill Gates : « nous ne sommes pas prêts »

En 2015 lors d’un évènement public, Bill Gate s’exprime sur une catastrophe à impact mondial en soulignant que ce ne sera pas une guerre mais un virus de type Coronavirus qui déclenchera une pandémie tout en mettant en garde car « nous ne sommes pas prêts ».

Il cite en archétype, la grippe espagnole de 1918 et précise que nous disposons de tous les moyens technologiques et scientifiques nécessaires pour répondre de manière optimale à ce type de menace et éviter une catastrophe humaine et économique. La nécessaire préparation exige en premier lieu un système de santé solide ainsi que des investissements élevés dans la recherche et le développement de pointe, car au final les coûts seront inférieurs aux dégâts causés. De plus, on aura besoin d’un corps médical de réserve et de la mise en place d’une interface entre les systèmes médicaux et militaires. Il recommande aux gouvernements de mener ce qu’il nomme des « germ games » en allusion aux « war games », c’est à dire des simulations à grandes échelles.

Face à une Europe absente, l’émergence d’un bilatéralisme fort et humain ?

Ces rapports et ces déclarations étaient publiques et accessibles à une époque où le démantèlement des capacités hospitalières allait bon train dans nombre de pays européens, dont la France et le Luxembourg, sous l’influence d’un néolibéralisme à la mode. Les états et institutions transnationales disposent de moyens autrement plus efficaces en matière de prévisions stratégiques. Alors une question fondamentale se pose : Pourquoi ce niveau abyssal de non préparation ? En montrant clairement la faiblesse de l’Union Européenne, qui a déclenché un « festival d’égoïsmes nationaux » comme l’écrivait le quotidien Libération, le Luxembourg a gardé une approche pragmatique favorisant une ouverture exemplaire vers les pays frontaliers. Avec le Bade Wurtemberg, la Sarre et la Rhénanie Palatinat ainsi que trois cantons suisse (sur 26), il accueille et soigne des malades non résidents. Jean Asselborn, notre ministre des affaires étrangères a regretté dans diverses interviews données sur RTL la fermeture des frontières européennes et intra-européennes.

On perçoit la crainte claire d’une Europe en train de sombrer.

 

Texte : Cadfael