L’avionneur est dans une très mauvaise passe. Des accidents et de nombreux problèmes techniques récurrents sur ses avions entraînent une dégringolade des titres en bourse, des annulations de commandes, une baisse du chiffre d’affaires et une méfiance généralisée face à ses produits.
Par Cadfael
La fin d’une success story
William “Bill” Boeing fit voler son premier avion, le “modèle no 1”, en 1916, marquant ainsi la naissance d’une société qui impacterait le monde de l’aviation. Durant la Seconde Guerre mondiale, les bombardiers de Boeing furent une composante essentielle de la victoire alliée. Ses usines, civiles et militaires, donneront naissance à une ville symbole de l’excellence en aéronautique : Seattle. Selon Harvard, depuis vingt-cinq ans, le groupe ne réussit pas à freiner une descente aux enfers. L’année 2024 aura été une année noire. Avant cela, en 2018 et 2019, deux Boeing 737 Max ont eu des accidents faisant 346 victimes. Selon les experts, ils seraient dus à des modifications non certifiées et non informées par l’avionneur dans des logiciels de pilotage.
Un groupe en mauvaise posture
Le 29 mars dernier, “marketplace.org”, le site américain sur l’économie, a fait le point : début janvier, un Boeing 737 Max 9 d’Alaska Airlines a perdu un élément de cabine, laissant un trou dans l’habitacle. Au montage, quatre boulons avaient été “oubliés”. L’avion, qui avait tout juste deux mois, a réussi à atterrir d’urgence. L’inspection ordonnée par la FAA, l’agence américaine de l’aviation, a révélé chez United et Alaska Airlines, les plus gros utilisateurs de ce type d’aéronef, des malfaçons analogues. Les rivets en cause auraient été fabriqués en Malaisie, selon la presse. Rien que pour United, dix avions des séries Max étaient concernés. La FAA a confirmé des problèmes de qualité chez Boeing et son constructeur de fuselages, Spirit Aerosystems, société dirigée par un ancien ministre de Trump. Les avions ont été soumis à une interdiction de vol par la FAA avec les commentaires suivants : « cet incident n’aurait jamais dû avoir lieu et ne doit pas se répéter ». Le 21 janvier, la FAA recommandait des inspections sur les modèles analogues. Selon le Times, l’administrateur de la FAA avait donné à Boeing 90 jours pour présenter un plan de contrôle et de redressement, la production chez Boeing ayant été administrativement limitée à 38 unités par mois. Il était très clair : « le “business as usual” est terminé chez Boeing. Nous n’accepterons aucune demande d’extension de la production pour les 737 Max jusqu’à ce que nous soyons satisfaits concernant les problèmes de qualité. […] Il est peu probable que cela arrive dans les prochains mois. »
Récemment, un lanceur d’alerte parlait de micro-jointures mal bouchées sur des dizaines d’avions des séries 777 et 787. Selon le Wall Street Journal du 24 mars, le département de la justice a diligenté une enquête criminelle contre la société. Le 6 mai, l’avionneur a informé la FAA que des collaborateurs auraient falsifié des rapports d’inspection sur des 787 Dreamliner. Des enquêtes au Congrès des États-Unis sont en cours. Déjà en 2023, divers défauts de fabrication touchant des systèmes de compensation de pression, des trous de liaison mal usinés, et des problèmes de gouvernail avaient fait la une des médias. Et ce ne semble pas terminé. La semaine dernière, un Boeing de Transavia a découvert des fissures dans le cockpit.
Boeing, un cas d’école
Fin janvier, la Harvard Business School publiait une analyse constatant que les problèmes sur les 737 ont débuté il y a 25 ans. Selon eux, Boeing a un sérieux problème de management dû au fait que les instances dirigeantes se sont éloignées de la culture de la société, qui était une culture de l’ingénierie et de l’excellence. Au fur et à mesure que les CEO se succédaient ou étaient démissionnés, et en l’absence de nouveaux modèles, la firme s’éloignait de plus en plus de sa culture d’origine. Cet éloignement trouvera son apogée en 2001 lorsqu’elle quittait le mythique siège de Seattle sous prétexte d’hypothétiques plus-values, pour s’installer à Chicago. Maximiser les bénéfices, à quel prix, questionne la Harvard Business Review. Selon Harvard, les problèmes de Boeing sont causés autant par des défaillances dans le leadership que par une culture d’entreprise devenue délétère et privilégiant une maximisation des bénéfices. « Ironiquement, les décisions prises depuis 2018 ont coûté aux actionnaires la somme de 87 milliards de dollars. » Les dommages à long terme en matière de réputation et de positionnement sur le marché ont fait glisser ce leadership vers Airbus. Entre-temps, Boeing a banni le terme de MAX de la désignation de ses avions.
Luxair et Boeing : est-ce bien raisonnable ?
Le 3 mars 2023, en pleine crise, Boeing et Luxair publiaient un communiqué annonçant que Luxair s’était engagé dans un leasing de deux 737-8 (anciennement Max) jusqu’en 2026, date à laquelle la compagnie luxembourgeoise est censée recevoir la commande ferme de deux avions de même type. Deux autres unités pour livraison en 2027 seraient en négociation. Les arguments invoqués sont standards : flexibilité, réduction de la consommation, réduction du bruit, et augmentation du confort pour les clients. Ce dernier point n’est guère visible en ce qui concerne le confort des sièges, qui demeurent une torture physique pour les “estimés clients” de grande taille. Il n’y a pas de petites économies ! In fine l’argument absolu aura probablement été de très bonnes conditions faites sur des « invendus » de stock qui en ce moment ne manqueraient pas chez l’avionneur américain.
Le CEO de Luxair, un haut fonctionnaire nommé par l’ancien ministre vert de la Défense, de la Mobilité et des Travaux publics, déclarait pompeusement : « Aujourd’hui est une bonne journée pour Luxair, notre personnel et nos estimés clients. […] C’est le début d’un voyage qui garantit le futur à long terme de Luxair. Il y aura beaucoup plus à l’avenir. »
Les Airbus A320neo, ou leur nouvelle version A321XLR, auraient, dans un contexte pareil, représenté un choix pro-européen plus judicieux. Ils seront probablement livrés à Iberia dans le courant de cette année. Avec un certain cynisme, le communiqué de Boeing conclut que « Boeing s’est engagé vers un avenir innovant, leader en développement durable, cultivant une philosophie basée sur les valeurs centrales de sécurité, qualité et intégrité. »
On notera que le Conseil d’Administration de Luxair, société détenue à 74,98 % de manière directe ou indirecte par l’État, est majoritairement composée de fonctionnaires ou de banquiers. On y chercherait vainement un pilote professionnel ou un entrepreneur expérimenté, exception faite du président du conseil d’administration. À l’exemple de Boeing, on mesure la toxicité potentielle d’une politique basée sur l’efficience financière.
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