Ces dernières semaines les médias internationaux se sont fait l’écho de ce qui se passait le long des frontières biélorusses. Des hommes, des femmes et des enfants bloqués entre une forteresse de 27 pays se disant attachés au respect du droit et une dictature qui les a manipulés pour ses propres fins.

Par Cadfael

Plusieurs milliers de migrants sont bloqués le long des frontières communes entre la Biélorussie, la Pologne, la Lituanie et la Lettonie. L’Europe après des décennies de tergiversations n’a toujours pas réussi à trouver une solution commune appropriée aux problèmes des réfugiés.

Des pions au service d’un dictateur

Selon le droit communautaire, c’est dans le premier pays européen où ils prennent pied que les migrants doivent demander l’asile politique. Des interviews diffusées sur les chaînes d’état allemandes montrent que ceux-ci n’ont aucune envie de rester en Pologne ou dans les pays baltes. Ils espèrent passer vers la RFA, la France ou le Royaume-Uni pour y déposer leur demande.

Le schéma est simple : des charters biélorusses amènent les réfugiés à Minsk où ils sont logés pour ensuite être transportés en bus par des membres des forces de sécurité vers la frontière polonaise. Selon les témoignages, certains de ces militaires, en tenues de combat noir et sans insigne, les guident vers les barbelés. Là, ils pratiquent une ouverture avec des ciseaux spéciaux et les font passer en les guidant brièvement sur le territoire polonais. En cas de découverte par les gardes-frontière, soit c’est le retour dans les forêts biélorusses à coups de bâtons et le passage à tabac, soit pour les plus chanceux, un placement en attente d’une hypothétique autorisation de séjour. Selon France 24, la Biélorussie rapatrierait certains « volontaires » vers leurs pays d’origine, le dossier des « refugiés » devenant un problème à double tranchant pour Minsk.

Le réfugié, une arme peu chère

Le Belarus a mis en place cette stratégie de l’utilisation des réfugiés à la suite des sanctions européennes après le détournement d’un vol Ryanair et suite au kidnapping de deux opposants de Minsk le 13 mai dernier. Le recours aux méthodes de guerre asymétriques est un classique pour des pouvoirs dont le but immédiat n’est pas de conquérir des territoires, mais de déstabiliser et d’envoyer des messages spécifiques vers des parties adverses qu’ils ne peuvent dominer.

C’est par la manipulation d’êtres humains fuyant des zones de guerre ou d’oppression politique qu’une pression médiatique négative est construite. Ainsi, le président Loukachenko tente de mettre la pression sur une Europe déchirée sur le problème des réfugiés. Connaissant le côté hermétique de ses frontières vers la Pologne, la Lituanie et la Lettonie, la provocation a fonctionné jusqu’à un certain degré. Pour les dirigeants occidentaux, il n’est pas agréable de voir dans les médias des réfugiés se faire maltraiter par des gardes-frontières lourdement armés ou mourir dans des forêts enneigées. Cette stratégie instrumentalise les ONG bien-pensantes. Une partie de l’Europe est coincée entre sa culture humaniste et la fermeté nécessaire face aux visées de Minsk.

Un glacis pour le maître du Kremlin

Selon les spécialistes, rien de ce qui se passe à Minsk ne se fait sans la bénédiction du « frère russe » comme se définit Poutine par rapport à Loukachenko. Dépendant économiquement et militairement de Moscou, le Belarus est un maillon dans la diplomatie de Vladimir Poutine visant à reconstruire une Grande Russie sur ses anciennes frontières. L’Ukraine, qui veut devenir membre de l’OTAN, et le Belarus forment un glacis qui permettrait de contrôler militairement un espace terrestre allant de l’Estonie tout au Nord jusqu’à la mer Noire au sud, juste en face des troupes de l’OTAN, d’où les visées du Kremlin sur Kiev.

Selon Deutsche Welle, l’OTAN et surtout les pays baltes et de manière plus directe la Pologne, la Roumanie et la Slovaquie, voisins directs, sont en état d’alerte par rapport à la probabilité d’un « Anschluss » de l’Ukraine par la Russie. En concentrant 150.000 troupes et des infrastructures logistiques aux frontières de l’Ukraine, Moscou signale ses visées sur cet ancien territoire tsariste indépendant depuis 1991.

Un conflit armé évitable ?

En ce qui concerne la Hongrie, l’autre voisin de l’Ukraine, Victor Orban vient de signer fin septembre un contrat de livraison de gaz de plusieurs milliards de mètres cubes annuels avec Gazprom. Selon l’Express, « ce contrat russo-magyar vient consolider l’entente solide liant les deux pays. Déjà, un crédit russe de 11 milliards d’euros finance la rénovation de la centrale nucléaire de Paks, unique complexe atomique sur le sol hongrois. Budapest héberge aussi le siège de la Banque internationale d’investissement, réputée servir d’officine au renseignement russe. Au point que la Hongrie est souvent perçue comme le cheval de Troie de Moscou, servant à saper – de l’intérieur – l’unité de l’OTAN et de l’Union européenne. »

Sous la présidence de Biden, l’OTAN se redynamise. Pour le Kremlin, l’occidentalisation de l’Ukraine par une adhésion à l’OTAN est une ligne rouge à ne pas dépasser. Pour Biden, ce point est inacceptable, comme l’est la modification par la force de frontières internationales reconnues. Les livraisons de matériel militaire américain vers Kiev s’intensifient.

Ce mardi le président américain s’est entretenu avec Vladimir Poutine. Selon le point presse de la Maison-Blanche, le gouvernement Biden agit en concertation avec les dirigeants alliés sur les diverses options permettant de dissuader une action militaire russe. Le président russe n’aurait pas encore pris de décision et demande des garanties. La menace américaine de bloquer le pipeline Nordstream II, source de revenus importants pour le Kremlin, est clairement une option avec d’autres sanctions financières et économiques. L’option militaire ne semble pas exclue, mais la Maison-Blanche souhaite passer d‘un niveau de menace militaire au stade diplomatique.