Le 23 mai dernier, le Belarus, dans un acte de piraterie aérienne sans précédent en Europe, détournait un avion de Ryanair qui sur un vol Athènes Vilnius survolait le Belarus. Minsk débarquait les passagers, en kidnappait deux pour les mettre derrière les verrous et laissait repartir l’avion après plusieurs heures d’attente. Les sanctions tombent…enfin. 

Des sanctions qui font mal

Des actes de terrorisme d’état de ce gabarit sont rares dans l’histoire moderne européenne. Le seul connu est celui ou le 22 octobre 1956 un commando du SDECE, les services secrets français, détournait un DC3 d’Air Atlas transportant des dirigeants du Front de Libération National Algérien. 

Le régime de Minsk était dans le collimateur de Bruxelles et cette fois-ci la réaction de l’union européenne a été étonnamment rapide. Elle a été bien au-delà de la traditionnelle liste rouge de personnalités que l’on empêche de voyager et de commercer au sein des espaces juridiques sous contrôle des vingt-sept. La gravité de l’acte, une violation lourde et sans conteste des principes de droit international les plus élémentaires ne laissait que peu de choix aux dirigeants de l’Union Européenne, même si pris individuellement, certains chefs d’état parmi les 27, se sentent en sympathie avec M. Poutine, grand sponsor du Belarus et de son dictateur en place depuis 1994.

Une des sanctions les plus lourdes de la  décision du Conseil (PESC) 2012/1031 du 24 juin 2021 publiée au Journal Officiel de l’Union Européenne  est l’interdiction faite aux ressortissantes des pays membres de commercer avec le pays et surtout de transporter ou de faire transiter la potasse biélorusse. Cet engrais représentait une valeur de 2.4 milliards de dollars en 2020 dans une économie qui a un besoin incessant de devises. Sur ce montant, 200 millions allaient vers l’Union Européenne. Le port lituanien de Klaïpeda traite 97% de la logistique de la potasse, c’est à dire 9.7 millions de tonnes/an, une source majeure de rentrées en dollars pour le Belarus. Les contrats signés avant le 25 juin restent intouchés. Ils viendront à échéance fin 2021, ce qui étalera les effets des sanctions et devrait permettre à Loukachenko de méditer sur la valeur des principes de droit. Les deux importateurs les plus importants sont la Chine et l’Inde.

La mesure européenne qui touche 20% de la production mondiale de potasse, ne va pas être sans effets sur les prix des denrées alimentaires dans un contexte de forte demande d’engrais.

Le grand frère russe ne possède pas les capacités portuaires nécessaires pour gérer ce volume. D’autre denrées tombant sous cet embargo sont le pétrole et le tabac et tout ce qui y est lié. Les secteurs bancaires et financiers sont également concernés avec une interdiction de négoce sur des valeurs financières ayant une échéance à plus de 90 jours. Les banques de l’Union Européenne ont interdiction de  commercialiser de l’assurance, de la réassurance et des nouveaux crédits avec des agences d’état ou paraétatiques de la dictature. La Banque européenne d’Investissement sera interdite de prêts ou d’investissements dans le pays.

Sont également touchés par ces mesures, les équipements de communication, et d’interception ainsi que toutes technologies ou logiciels utilisables en matière de répression ou de surveillance policière. De manière générale tous biens utilisables de manière duale, c’est à dire tant militaire que civile ne seront plus accessibles légalement pour le pays.

Et la pénitence ?

La rédemption ne se fera pas avant que Loukachenko, l’homme fort de Minsk, ne libère les prisonniers politiques et n’annonce des élections libres, ce qui en l’état actuel semble improbable aux yeux des observateurs. Mais selon le journal officiel de l’UE des exceptions sont possibles en ce qui concerne des urgences humanitaires, des projets environnementaux, ou de sécurité nucléaire.

En attendant 166 personnes du cercle proche du pouvoir seront bannies de voyage ou de commerce avec l’Europe y compris un oligarque russe, le plus gros investisseur dans le pays. S’y rajoutent le Canada, les États-Unis et le Royaume-Uni.

Et quid du journaliste et de sa compagne ?

Dans la grande tradition issue de l’époque soviétique, le pouvoir en place exhibe sa proie. Selon l’agence Reuters, dans une vidéo et un interview à la télévision d’état, le jeune journaliste Protasevich admet et confesse, qu’il a organisé des émeutes et qu’il va dénoncer ses complices. Selon l’agence Reuters il aurait déclaré qu’il allait faire des efforts pour réparer le mal qu’il a fait et les dommages qu’il a causés. Il a également loué M. Loukachenko et sa politique. La semaine dernière on l’a également exhibé à des journalistes à l’occasion d’une conférence de presse organisée par le gouvernement. A cette occasion Protasevich insistait sur le fait qu’il coopérait avec le gouvernement de son plein gré. Depuis  il a été mis en résidence surveillée ainsi que sa fiancée d’origine russe et leurs parents ont pu leur rendre visite. Ce jeu permet à Loukachenko de démontrer qu’il maitrise les évènements et qu’il est capable de casser la volonté même des plus tenaces.

En réaction contre les sanctions, le Belarus tente détourner vers l’Union Européenne des réfugiés politiques : La Lituanie, qui possède une frontière de 700 km avec le Belarus a enregistré depuis le début de cette année 507 migrants en provenance du Belarus, la plupart des Iraquiens, 6 fois plus que durant toute l’année 2020. Selon des sources lithuaniennes un passage coûterait entre 2000 et 4000 dollars entre l’Irak et Minsk et la Lituanie, avec la complicité de lignes aériennes locales.

Par Cadfael