Architecte d’intérieur, historienne de l’art, professeur, puis, enfin, coach avant de fonder son cabinet de conseil en entreprise P’op – pour Positive and Optimistic Mind – Béatrix Charlier a déjà eu six vies… Forte de son expérience dans l’éducation, les relations humaines et le conseil en entreprise, elle vient de développer différents outils IT, fondés sur la bienveillance, l’agilité et la cohérence, destinés à améliorer la vie au sein de l’entreprise.

Rencontre avec Béatrix Charlier, une coach et éditrice d’outils activateurs de talents.

S’il n’y avait qu’une seule chose à retenir de votre parcours, ce serait ?

Des rencontres lumineuses avec des passionnées, des personnes de tous âges, d’intelligences tellement différentes.

Avez-vous des regrets ?

Non, car j’ai le luxe d’avoir pu concrétiser tous mes projets. Au prix de risques, peut-être, mais j’ai toujours suivi mes instincts, mes rêves, et cela a fonctionné.

Pourquoi avoir quitté l’éducation nationale pour monter votre propre société ?

Un constat, une urgence. Je dirais que c’est un « momentum ». J’avais 50 ans, et le temps commençait à s’accélérer. Je ne l’aurais pas fait dix ans auparavant. J’ai compris que je ne pourrais pas modifier l’enseignement, mais, en même temps, je savais très bien que je pouvais apporter mon aide aux jeunes, les accompagner pour leur donner toutes les chances d’inscrire leurs talents, leur donner les codes. Ce sont les adultes de demain, il n’y avait plus de temps à perdre.

Vous coachez aussi bien des étudiants que des dirigeants. Comment expliquez-vous l’écart entre ces générations dans leur rapport au travail ?

À l’heure actuelle, le monde du travail draine quatre générations, qui doivent apprendre à se juxtaposer et à vivre ensemble : les baby-boomers qui quittent la population active ; la génération X, celle des sacrifiés qui ont fait énormément d’heures supplémentaires ; la génération Y qui ont vu leurs parents se sacrifier, qui ont subi de plein fouet la crise de 2008 alors qu’ils étaient encore très jeunes et qui n’ont plus envie de tout donner à l’entreprise ; enfin, la génération Z qui arrive seulement sur le marché du travail. Je perçois dans ces derniers, beaucoup d’optimisme et de courage, car ce sont eux qui vont remettre en cause les modèles établis depuis des décennies.

Seront-ils plus difficiles à diriger que les générations précédentes ?

Non, je ne le crois pas. En réalité, les Y nele sont pas. Les temps ont changé, nous avons de nouveaux outils – la transformation digitale est passée par là – et, en réalité, c’est à nous de leur faire confiance,à faire avec leurs codes et non le contraire. Ils ont, pour environ 30% d’entre eux, de fortes valeurs féministes héritées du combat de leurs mères en entreprises. Ils sont porteurs d’idéaux. C’est formidable d’avoir une génération qui nous rappelle le sens des choses. Les solutions aux crises que nous traversons actuellement viendront d’eux.

Vous sous-entendez que pour cette génération, le féminisme ne sera pas un combat, mais quelque chose de normal ?

Tout à fait, et c’est déjà le cas. Les générations des millenials se caractérise bien plus par ses valeurs que par son âge. 30% sont porteurs de celles héritées de la génération X et 30% de celles héritées de la génération Y. Ceux qui restent sont entre les deux. Une chose est sûre, cette génération est plus mûre sur cette question, et l’équilibre entre les genres n’est pas un combat. Elle va tout simplement de soi.

Être une femme dans votre profession est-il un atout ?

Quel que soit le secteur d’activité, même si c’est plus complexe dans certains que d’autres, je pense que c’est la posture, le lien à votre propre authenticité qui provoque une réponse de la personne qui se tient en face de vous. Le changement vient de soi. Bien sûr, on peut le subir, lorsqu’on est jeune et qu’on mange de confiance en soi. Les combats que j’ai eu à mener pour me faire une place étaient autant face à des hommes qu’à des femmes de pouvoir.

Poussons vos dires dans leurs retranchements : sous-entendez-vous que les personnes victimes de harcèlement engendrent ce qui leur arrive ?

Absolument pas. Les femmes victimes de harcèlement sont fragilisées. Cela arrive dans des milieux toxiques et malades mais croyez-moi. Tant le bien-être au travail que l’attraction et la rétention des talents sont au cœur des préoccupations entrepreneuriales. Les entreprises ont trop à perdre aujourd’hui en terme de réputation si elles ne règlent pas le problème du harcèlement.

Le harcèlement sexuel semble en effet ne pas exister au Luxembourg. #MeToo a fait très peu de vagues. Comment expliquez-vous cela ?

Je dois vous avouer que depuis dix ans que je me suis installée au Luxembourg, je n’y ai jamais été confrontée. C’est une chance, je le sais. En revanche, on entend plus souvent parler de harcèlement moral, de stress, de burn-out.

Travailler au Grand-Duché est-il plus difficile qu’ailleurs ?

Le pays a beau être petit, il recense un nombre de sociétés issues de nationalités différentes, chacune portant des valeurs propres. Ajoutez à cela des cultures d’entreprises propres à chaque boîte… Cela donne une hétérogénéité qui, je pense, est une chance. Cela permet de s’échapper facilement si ça se passe mal et de retrouver assez facilement un emploi. Tout n’est pas rose, au contraire, mais cette diversité est sans conteste un sérieux atout.

De quelles qualités un bon manager doit-il faire preuve ?

La première est de bien savoir communiquer : tant pour définir les objectifs de la société que pour écouter, encourager, féliciter ses équipes. Les millenials, notamment, ont besoin d’une communication directe, fédératrice. Un bon manager est également celui qui sait faire preuve d’empathie. Il se doit aussi d’être un leader – au sens de coach, de mentor – sans contrôler ses collaborateurs : ce qui implique qu’il doit savoir leur faire confiance. Enfin, il doit être authentique : je fais ce que je dis, et inversement ; si je me trompe, je le dis et on cherche des solutions. Être humain est un job à part entière (sourire).

Est-il plus difficile de manager à l’heure actuelle qu’il y a quelques années en arrière ?

Complètement. La transformation digitale a engendré une transformation managériale sans précédent. On leur en demande de plus en plus. Le N+1 est celui qui endosse toutes les frustrations de son équipe, c’est très compliqué.

Avoir un réseau solide est-il une condition sine qua non pour réussir ?

C’est la clé. Il faut même en avoir plusieurs, et par-là, je sous-entends également le réseau professionnel et privé. C’est aussi important d’être entouré d’amis bienveillants et de sa famille que de côtoyer des réseaux professionnels. Par chance, au Luxembourg, il y en a de nombreux, et de qualité. Il ne faut pas hésiter à s’inscrire à plusieurs pour être confronté à la différence, à la diversité, à la pluralité des personnalités, des métiers. C’est bien plus enrichissant que de rester toujours confiné dans le même petit cercle. C’est à ce moment que les idées fusent, que les esprits s’ouvrent et que l’on accomplit de grandes choses !

Comment réussissez-vous à jongler entre vie privée et vie professionnelle ?

C’est une question de gestion du temps, à moyen et à long terme, essentiellement. Au quotidien, il faut être assez flexible pour gérer les imprévus et « faire du Tetris ». Mais il faut savoir anticiper sur les périodes de rush et au contraire, prévoir de souffler lors des périodes creuses. Par exemple, on sait au Luxembourg que la période du 15 septembre à début janvier est complètement folle, tandis que Pâques est synonyme du creux de la vague. Il faut jongler avec ces paramètres pour se ménager du temps pour soi. C’est également fondamental de bien se connaître et de ne pas vouloir aller au-delà de ses limites.

Quel(s) conseil(s) donneriez-vous aux femmes qui souhaitent se lancer dans l’aventure de l’entreprenariat ?

De bien s’entourer. En s’inscrivant tout de suite dans plusieurs réseaux. Faire une bonne étude de marché. Et aller voir immédiatement un bon comptable, un bon juriste. Il faut s’entourer de professionnels, et des meilleurs. On ne demande pas au copain du voisin (rires) ! D’autant qu’au Luxembourg, on a beaucoup chance, car on trouve de véritables talents.

Quels sont vos projets ?

À moyen terme, développer les outils IT que j’ai créés, afin qu’ils soient utilisés par le plus grand nombre. J’aimerais également former des gens à ces outils, cette méthode, pour, qu’ensuite, eux le distillent également autour d’eux je suis convaincue du bien-fondé qu’ils peuvent apporter à l’entreprise. J’aimerais aussi favoriser des incubateurs de talents au sein même des entreprises : les diplômés ne sont pas les seuls à être ‘intelligents’, à avoir du talent. Il faut favoriser cela. Je veux faire bouger les codes de l’entreprise, de l’éducation, remettre en questions des décennies de préjugés et d’idées préconçues pour faire progresser les mentalités.