Elle a marqué André Breton, côtoyé Georges Braque et Pablo Picasso et est l’une des pionnières de l’art en Algérie : à Paris, une rétrospective met en lumière l’œuvre onirique de Baya, icône de la peinture contemporaine de son pays.

Alors que les expositions d’automne battent leur plein avec de grands noms comme Kokoschka ou Munch, l’Institut du monde arabe (Ima) a opté, lui, pour un pas de côté. Ce pas de côté, c’est “Baya. Femmes en leur jardin”, une rétrospective consacrée à cette artiste tombée dans l’oubli (1931-1998). 

Si son nom n’évoquera rien au grand public, il est pourtant celui d’une fulgurance: celle d’une Algérienne orpheline qui, aidée par sa mère adoptive française, a exposé ses premières œuvres à Paris à l’âge de 16 ans, avant de devenir, malgré elle, l’une des égéries des surréalistes.

André Breton, Pablo Picasso ou Georges Braque : tous ont été émus et impressionnés par le talent de cette autodidacte, née Fatma Haddad, dont l’imaginaire onirique, peuplé de figures féminines évoluant dans des jardins d’Eden, est une “ode à la vie”, selon le directeur de l’Ima, Jack Lang.

Miró féminin

Mais attention, prévient l’historienne et co-commissaire de l’exposition Anissa Bouayed, “il ne faut pas s’arrêter à la période André Breton pour comprendre l’œuvre de Baya. C’est d’abord une artiste pionnière et, ensuite, c’est quelqu’un qui a eu la ténacité et l’envie de peindre”.

Réunissant des dizaines de tableaux, sculptures, dessins et gouaches, la rétrospective de l’Ima, qui se tient jusqu’au 26 mars avant de se déplacer début mai à Marseille dans le sud de la France, veut offrir au public un éclairage sur un destin singulier, sorte de Miró féminin, et une œuvre longtemps qualifiée, à tort, “d’art naïf” ou “d’art brut”.

Naïf car, dans le monde de Baya, la mort n’existe pas. Tout comme les hommes. Seules des femmes-enfants vêtues de robes somptueuses sont présentes avec, à leurs côtés, des animaux fabuleux. Le tout sur une composition faisant appel à des couleurs vives – dont le bleu et le rose – rappelant les toiles d’Henri Matisse.

Un univers qui trouve sa source dans la culture berbère, dont elle a été imprégnée enfant malgré le fait d’être née durant la période coloniale. “Ce qui est intéressant, c’est qu’à partir d’une certaine période, le monde colonisé reprend confiance en lui-même et en sa culture d’origine après des décennies d’assujettissement”, analyse Anissa Bouayed. Reste qu’au fil des années, le nom de Baya a disparu des galeries et des musées. Il faudra attendre une monographie à Marseille, aux débuts des années 1980, pour réentendre le nom de Baya.

Plus de 20 ans après sa mort, l’Ima fait le pari de sortir de l’ombre cette artiste, arguant de sa contemporanéité. “Aujourd’hui, on s’interroge sur des questions qu’on ne se posait pas avant de façon aussi lucide”, assure Anissa Bouayed. Parmi ces questions, la place des femmes artistes, et notamment celles des pays du sud issues des anciennes colonies, poursuit-elle. 

Universelle, l’œuvre de Baya est aussi profondément algérienne, assure Jack Lang. “Elle a traversé l’histoire de l’Algérie, du passé colonial aux soubresauts de l’indépendance en passant par la décennie noire”.  “Elle aurait pu être une artiste de la diaspora compte tenu de ses débuts mais elle s’est volontairement construite un destin algérien”, complète Anissa Bouayed.