Face à la résurgence du mouvement Black Lives Matter, le milieu de la mode s’est engagé à changer. Mais qu’en est-il un an après ? Une nouvelle étude britannique révèle tristement que “la discrimination est omniprésente dans l’industrie de la mode”.

Pour cette étude, les think tanks Fashion Roundtable et All-Party Parliamentary Group for Fashion and Textiles ont interrogé plus de 330 Britanniques travaillant dans l’industrie de la mode. Plus de deux tiers d’entre eux déclarent avoir été victimes ou témoins de discrimination au sein du secteur. La plupart d’entre elles sont liées à l’apparence physique (73,4%), suivi des origines ethniques (49,2%) et de l’âge (48,6%). 

Si ces discriminations se manifestent de façons diverses, un grand nombre de participants issus de minorités affirment ne pas bénéficier des mêmes opportunités professionnelles que certains de leurs collègues. “Des patrons m’ont dit que je devrais travailler plus dur, car je suis d’origine chinoise, que nous n’avons pas besoin d’autant de choses que les autres étant donné que nous ne les demandons pas. Le stéréotype qui veut que les Asiatiques soient travailleurs joue contre nous car nous sommes considérés comme des intellos, peu créatifs et peu sociables, et nous n’avons pas tendance à obtenir des postes de direction car on estime que nous manquons de qualités relationnelles”, déclare l’un d’entre eux. 

Un racisme silencieux

Le phénomène est encore plus marqué à l’égard des personnes noires. Beaucoup ont déjà travaillé dans des environnements de travail hostiles, où on leur faisait des remarques déplacées sur leur apparence physique ou les insultait. Certaines manifestations du racisme sont toutefois plus pernicieuses, selon un maître de conférences spécialiste de la mode. “Pour ce qui est d’être témoin d’un racisme structurel, je savais que c’était à cause de ma couleur de peau. C’est le racisme silencieux. Tellement silencieux. Je peux dire que les personnes qui me freinaient étaient mes collègues avec qui je m’entendais bien. Il faut juste faire avec, se mettre en colère irait à l’encontre du but recherché”, explique-t-il. 

Des opportunités commerciales à saisir

Selon l’étude, le manque de diversité de l’industrie est également visible dans les défilés, les magazines et les boutiques de vêtements. Près de neuf personnes interrogées sur dix ne se sentent pas représentées dans les campagnes publicitaires, les shootings de mode et sur les podiums. Pourtant elles n’attendent que cela. Plus de 90% des participants se disent prêts à soutenir financièrement une marque si elle est connue pour être inclusive. 

Les auteurs du rapport ont identifié deux marchés en plein boom sur lesquels les professionnels de l’industrie devraient, selon eux, se positionner pour répondre au mieux aux demandes des consommateurs en matière de diversité : la mode unisexe (ou “gender fluid”) et celle de la “mode modeste”. Si de plus en plus de griffes proposent désormais des vêtements non-genrés, elles sont encore peu nombreuses à se positionner sur le créneau de la “mode pudique”. Plus de 85% des femmes musulmanes interrogées ne se reconnaissent pas dans les collections de la grande distribution. 

Le secteur devrait rapidement remédier à ce problème étant donné que le marché de la “mode modeste” devrait atteindre 360 milliards de dollars en 2023. Mais il doit changer son fonctionnement pour y arriver, et inclure plus de professionnels issus de la diversité en ses rangs. “Le marché est énorme et il y a tellement de place pour la créativité, mais il est si difficile d’en parler dans les réunions ou d’aborder la rhétorique anti-islamique de peur de passer pour un sympathisant du terrorisme. C’est aussi simple que cela”, constate avec amertume un designer anonyme. 

Et du côté législatif ?

De nombreux participants à l’étude (83%) estiment que le gouvernement britannique a un rôle à jouer dans ce changement de mentalités, et devrait exiger que l’industrie de la mode prenne des engagements forts en faveur de plus d’inclusivité. Un avis partagé par la journaliste Lottie Jackson, qui collabore régulièrement avec le think tank Fashion Roundtable.

“La créativité et le pouvoir législatif sont considérés comme des sphères distinctes. Ils sont, en apparence, considérés comme des forces antagonistes. Après tout, pourquoi un esprit libre et créatif voudrait-il être contraint par le charabia des textes de loi ?”, souligne-t-elle. “Nous nous sommes rarement arrêtés pour considérer l’immense valeur qu’une approche collaborative et conjointe pourrait apporter à chacun de ces domaines- en créant un lien entre les décideurs politiques et une industrie représentant 35 milliards de livres au Royaume-Uni”.Caroline Drzewinski