Le Grand-Duché et ses deux partenaires du Benelux ont pris les devants, mardi à Luxembourg, pour dénoncer l’adoption par la Hongrie de Viktor Orban d’une loi jugée discriminatoire à l’égard des communautés LGBTI. Le chef de la diplomatie luxembourgeoise poursuit le bras-de-fer engagé depuis cinq ans avec le premier ministre nationaliste hongrois. 

« Cette loi ne correspond en aucune mesure aux valeurs de l’Union européenne : les gens ont le droit de vivre comme ils veulent, on n’est plus au Moyen-Âge », a lancé mardi Jean Asselborn, en prélude au Conseil des affaires générales (CAG) de l’UE, réunissant à Luxembourg les ministres européens des Affaires étrangères. En cause, l’adoption par Budapest d’un texte proclamant que « les contenus qui promeuvent la déviation de l’identité de genre, le changement de sexe et l’homosexualité ne doivent pas être accessibles aux moins de 18 ans ». 

« C’est indigne de l’Europe », a encore tranché le chef de la diplomatie luxembourgeoise, promettant une réaction du Benelux avant de rejoindre la salle du conseil. A l’issue de la réunion, treize Etats membres ont finalement condamné une loi discriminatoire « à l’égard des personnes LGBTQI et violant le droit à la liberté d’expression sous prétexte de protéger les enfants ». Outre les pays du Benelux, la déclaration commune a été signée par l’Allemagne, la France, l’Espagne, l’Irlande, les pays scandinaves et baltes. La Commission européenne a de son côté annoncé qu’elle étudierait la conformité du texte au droit européen, menaçant Budapest de poursuites devant la justice européenne si tel n’est pas le cas. 

« Tumeur idéologique »

Depuis son retour au pouvoir en 2010, le Premier ministre hongrois et son parti, le Fidesz, ont multiplié les lois restreignant l’indépendance et la liberté de la Justice, des médias, de l’enseignement, des ONG et de la société civile. Depuis plusieurs années Jean Asselborn s’est positionné parmi les plus farouches adversaires de la « tumeur idéologique » que représente à ses yeux Viktor Orban, celui-ci s’assumant par ailleurs en leader du camp « illibéral » au sein de l’ensemble européen. 

Dans ce sens, la déclaration officielle commune adoptée mardi par treize pays constitue déjà une victoire pour le ministre socialiste luxembourgeois. Jusqu’à présent, aucun dirigeant européen n’avait fait part d’un degré d’indignation équivalent au sien et il n’était jamais parvenu à fédérer un front aussi large contre la politique autoritaire et nationaliste d’Orban. Le ralliement de la Belgique et des Pays-Bas à une prise de position commune du Benelux a sans doute été déterminante et rendue possible par le récent affaiblissement de l’extrême-droite dans ces deux pays. L’opposition hongroise, qui dénonce une « poutinisation » du régime Orban, a salué l’initiative. 

Menaces sans lendemain

Pour autant, cela ne semble pas ébranler le gouvernement hongrois. Son ministre des Affaires étrangères, Peter Szijjarto a rétorqué mardi que cette loi n’est « dirigée contre aucune communauté en Hongrie mais seulement contre les pédophiles », s’offrant au passage une nouvelle provocation en assimilant l’homosexualité à la pédophilie.

Il n’est en effet pas acquis de voir cette levée de bouclier suivie d’effet. Et Jean Asselborn le sait bien. En 2016, il avait demandé à l’UE d’exclure temporairement la Hongrie en raison de violations répétées des valeurs démocratiques de l’Union. Cet avertissement était resté sans suite tout comme l’ont été les menaces isolées de sanctions contre une Hongrie profitant des aides financières européennes tout en déniant aux institutions européennes la légitimité de l’attaquer sur le terrain des droits fondamentaux. « L’Europe des valeurs n’est pas un menu à la carte », a une énième fois rappelé la ministre belge des Affaires étrangères, Sophie Wilmès, mardi à Luxembourg.

Choisir entre valeurs et business

Outre la division des gouvernements européens, la Hongrie se sait aussi protégée par des mécanismes européens de sanctions dont la rigidité et les délais de mise en œuvre les rendent très hypothétiques. La faute à une construction européenne dont la priorité va au commerce et à la garantie d’une concurrence libre et non faussée entre Etats membres. « Le respect de la dignité humaine, la liberté, la démocratie, l’égalité, l’État de droit et le respect des droits humains », qui constituent les droits fondamentaux de l’UE, n’ont été précisé qu’en 2006, dans le traité de Lisbonne, soit près de cinquante ans après la création de la Communauté économique européenne en 1957. 

Aussi sincère soit sa colère, Jean Asselborn se heurte parfois à cette contradiction. En avril 2019, lors de l’inauguration de la mission diplomatique hongroise au Grand-Duché, le ministre s’était félicité de l’excellence des relations économiques et commerciales entre les deux pays, soulignant que « le Luxembourg est parmi les plus importants investisseurs étrangers direct en Hongrie ». L’illustration parfaite de l’incapacité de l’UE à choisir entre respect des valeurs et business, une question pourtant existentielle.  

Texte : Fabien Grasser

Photo : LSAP