Par Cadfael

À la fin de la semaine dernière, un communiqué de la mairie de Paris annonçait : « Ce vendredi 19 novembre, le Conseil de Paris a voté la dénomination d’une promenade en mémoire d’Aristides de Sousa Mendes. Ce diplomate portugais a été déclaré « Juste parmi les Nations ». Paris attribue son nom à une partie du terre-plein central du boulevard des Batignolles (17e). 

Le consul de Bordeaux, « Juste parmi les Nations »

Né le 19 juillet 1885, Aristides de Sousa Mendes do Amaral e Abranches est issu d’une famille de la noblesse provinciale portugaise. Il a grandi à la frontière de La Serra da Estrela et fera des études de droit à Coimbra pour se diriger vers une carrière diplomatique dans un pays où être bien né compte beaucoup. À l’époque, l’université de Coimbra comptait quelques centaines d’étudiants, berceau d’une élite portugaise. Salazar, le dictateur, était lui-même diplômé de Coimbra. Mendes, était en poste à Zanzibar, alors sous protection britannique, au Brésil et aux États-Unis ainsi qu’en Espagne et en Belgique. Il a eu l’opportunité de prendre la mesure du monde face à la montée des fascismes au regard de l’état autoritaire qu’il représentait.

En 1932, le frère jumeau de Mendes a été nommé ministre des Affaires étrangères dans un premier gouvernement de Salazar. En 1938, Mendes est en poste à Bordeaux en qualité de consul général avec juridiction sur une grande partie de la France.

Une désobéissance civile

En juin 1940, défiant les ordres du dictateur Salazar, le consul a délivré des milliers de visas pour le Portugal à des personnes fuyant la France, dont de nombreuses personnes de confession juive. Leur nombre était, selon les historiens, estimé entre 10.000 et 30.000 personnes. Il les a sauvés d’une mort très probable. Informé, Salazar, dont la police politique, la sinistre PIDE, avait des yeux et des oreilles partout, a pris des mesures pour arrêter le flux de réfugiés. Le prétexte invoqué était que cela nuirait à la sécurité de l’état. La circulaire « numéro 14 » définissait les réfugiés potentiellement dangereux ou pouvant fragiliser les pouvoirs de la République.

Elle est symptomatique d’un dictateur, ancien séminariste, qui avait une hantise de l’«étranger», susceptible d’introduire la subversion communiste et de souiller son « État nouveau ». Ce dernier était établi sous une vision chrétienne, ultra conservatrice dont la Sainte Trinité s’appelait « Fado, Fatima et Football ». D’un autre côté, une fois au Portugal, ils étaient surveillés comme tout le monde, et laissés relativement tranquilles.

Personnage complexe, Salazar pratiquait un jeu d’équilibre entre belligérants avec une sympathie nettement marquée pour la croix gammée. Au Reich, il livrait des minéraux comme le lithium et fermait les yeux sur ses activités sur son sol. Lisbonne et Estoril étaient des repères de barbouzes de haut vol, une plateforme d’échanges d’informations, le tout sous contrôle de la PIDE.

Mendes a été rappelé à Lisbonne par Salazar, ordre qu’il a exécuté avec une lenteur exemplaire en continuant à émettre des visas, car il avait, selon certaines sources, « oublié de laisser les tampons dans son bureau ». Dans son activité il a été soutenu par de nombreuses personnalités dont Manuel de Vieira Braga, vice-consul, José de Seabra, le secrétaire consulaire et le consul honoraire à Toulouse, le Français Emile Gissot ainsi qu’un rabbin polonais, ayant vécu en Belgique et le Rabbi Chaïm Kruger qui refusait de s’enfuir avant que tous les réfugiés n’aient eu un visa.

Des sanctions brutales

Le dictateur l’a condamné lors d’une procédure disciplinaire tronquée et sans pitié. Un des points d’accusation était d’avoir fourni un faux passeport au Luxembourgeois Paul Miny afin qu’il puisse échapper au service militaire (dans l’armée allemande). Salazar a a fixé la peine lui-même : Mendes a été destitué et selon des sources divergentes, avec une réduction drastique de ses émoluments. À cela s’est ajouté un bannissement social de fait ostracisant la famille Mendes. 

Le consul n’a jamais obtenu la révision de son procès. Lorsque le vent a tourné, Salazar a utilisé cette affaire pour montrer à quel point le Portugal avait été accueillant. Il reste en mémoire l’épisode tragique du convoi ferroviaire composé de réfugiés juifs parti le 7 novembre 1940 de Luxembourg et bloqué à l’entrée du Portugal, dans le froid et la faim, car le très catholique Salazar, par un jeu diplomatique torve, refusait l’entrée dans son « Estado Novo ».

La reconnaissance

En 1966, le Mémorial de Yad Vashem en Israël l’a honoré du titre de « Juste parmi les nations ». Au Portugal, il faudra attendre 1988 pour que Sousa Mendes soit réhabilité et réintégré, à titre posthume dans son corps d’origine avec le titre d’ambassadeur. À plusieurs reprises il sera honoré par des gouvernements portugais successifs pour recevoir les honneurs suprêmes de la République par le transfert de ses cendres au Panthéon, le 19 octobre dernier.

Il aura fallu 80 ans pour reconnaitre la droiture et le courage d’un personnage, mort dans la pauvreté, qui aura fait passer le respect de valeurs morales supérieures avant ses intérêts, ceux de sa famille ou ceux que sa charge lui imposait.