Par Cadfael
Mme Merkel, « Mutti », Maman, comme nos voisins allemands aiment la surnommer gentiment, prend sa retraite à 67 ans. Après une carrière exemplaire de 16 ans comme chancelière de la République Fédérale, celle qui avait été consacrée la femme la plus puissante de la planète se retire, laissant un vide apparent sur la scène internationale.
La succession
Une coalition sociale-démocrate, libérale et verte a les meilleures chances de lui succéder, les négociations inter-parti sont en cours. Le nouveau chancelier s’appellera très probablement Olaf Scholz, il est l’actuel ministre des finances et vice-chancelier. Cet austère luthérien du nord du pays, avocat, spécialiste du droit du travail avait déjà été ministre du travail et des affaires sociales dans un précédent gouvernement Merkel en 2007. Membre du SPD depuis l’âge de 17 ans, il est partisan d’une rigueur budgétaire, d’une fiscalisation des transactions financières et d’une taxation minimale des grosses entreprises internationales. Il devrait entrer en fonctions début décembre. On peut y lire une continuité, même si la couleur politique diffère.
Une opportunité pour la France de M. Macron ?
Face au vide espéré par ce changement, M. Macron et ses conseillers s’agitent depuis quelques temps en coulisse. A la tête d’un des pays parmi les plus endettés en Europe, selon le site Statista, il lui faut économiquement et politiquement, compenser l’échec retentissant d’une vente de sous-marins conventionnels à l’Australie. Cette dernière lui a préféré les sous-marins nucléaires américains plus aptes à constituer une réelle déterrence face à la Chine.
Avec une dette publique de 117 % du PIB et de solides problèmes intérieurs, la France se situe dans la mouvance des pays du cône sud de l’Europe. Manifestement la politique de rigueur à l’allemande ne lui convient pas. Après deux années de négociations, la diplomatie française tente d’être le moteur d’un renforcement des relations avec l’Italie et espère prochainement la signature d’un traité dit « du Quirinal » avec M. Draghi. MM. Macron et Draghi sont sous pression, les élections d’avril 2022 pour le premier et la fin du mandat de M. Draghi en mars 2023, tous deux avec des problèmes internes récurrents.
D’après la presse allemande, les points forts de ce traité seraient une dilution des principes de décision au niveau européen, la création d’une police européenne avec le renforcement des politiques anti-migratoires européennes et le renforcement de la coopération militaire et de la lutte contre le terrorisme sans oublier bien sûr un démantèlement du rigorisme budgétaire européen.
Industries de défense et exportations vitales
Sur le plan des industries de défense dont les exportations sont vitales pour les deux économies, les choses ne vont pas au mieux pour la France. Comme le titrait « La Tribune » du 5 juillet dernier « la coopération entre la France et l’Italie (est) au plus bas » en matière d’armement. « La méfiance s’est singulièrement renforcée de chaque côté des Alpes entre les industriels italiens et français ».
Il en va de même en matière de coopération de défense avec l’Allemagne. La France a de quoi se poser des questions, le Bundestag venant de rejeter, juste avant les élections allemandes, la plupart des projets du programme joint avec la France. Ces projets étaient issus d’un conseil franco-allemand en 2017 entre Mme Merkel et M. Macron. A l’époque Macron suscitait encore des espoirs. La préférence du bilatéral concerne les norvégiens en matière de sous-marins, les américains pour l’aviation ou ses propres chantiers navals pour la « Bundesmarine ». Il semblerait que l’arrière-goût laissé par les scandales ayant secoué Airbus Industries, ne se soit pas encore dissipé outre Rhin. Et pourtant la France compte sur la RFA pour son rêve d’une défense européenne commune et indépendante. Elle dispose probablement de la meilleure armée européenne, la plus aguerrie, mais reposant sur les finances d’un Etat fortement hypothéqué.
Les choses se passent mieux avec la Grèce qui face à une Turquie de plus en plus agressive, vient d’acheter deux frégates et 18 avions Rafale de chez Dassault. Ce marché de plusieurs milliards, est accompagné d’un traité d’assistance mutuelle en cas d’attaque.
N’est pas roi qui veut
S’engouffrer dans le « vide » que laisserait le départ de Mme Merkel semble plus qu’illusoire. M. Macron a été propulsé à la magistrature suprême par les circonstances des jeux politiques avec l’aide des réseaux d’énarques et de polytechniciens sur lesquels il comptait depuis l’époque où il était secrétaire adjoint à l’Elysée et ministre des finances. Son futur collègue Scholz par contre est un vieux routier du Parti Social-Démocrate. Plusieurs fois ministre sous Merkel, il représente parfaitement cette rigueur à l’allemande, consciente de son rôle européen, qui aura permis au pays de devenir une des démocraties et économies les plus respectées au monde.
Une consolation américaine
MM. Biden et Macron se sont rencontrés à Rome vendredi dernier a l’occasion du G20 avec des excuses de Biden et des promesses de coopération future. De plus la vice-présidente rencontrerait M. Macron à Paris en Novembre. Gageons que le charme de Mme Kamala Harris mettra du baume sur « l’affront » qu’aurait subi la Grande Nation en perdant le marché australien des sous-marins. On aura juste oublié qu’«Airbus Helicopters» avait livré des hélicoptères Tigre à l’Australie au coût de maintenance prohibitif et la disponibilité opérationnelle incertaine dans deux rapports d’audit en 2015 et 2016. Ces mêmes arguments ont été invoqués récemment à Berlin pour abandonner le programme Tigre. Ils seront remplacés avant terme.
L’incompréhension des rouages culturels et politiques allemands rendra un nouveau leadership germano-français difficile pour M. Macron, le passé récent chargé de méfiance, les errements de la politique européenne et le renforcement des tensions internationales présentant un parcours d’obstacles difficile à maitriser. Reste la voie de la quadrature du cercle via une Realpolitik commune.