Après des études de journalisme, la Franco-Luxembourgeoise Alice Welter lance L’effrontée « le premier média féministe luxembourgeois » sur Instagram. Depuis plus d’un an, la jeune trentenaire, relaie la parole des femmes confrontées au sexisme, aux abus et aux violences. Plusieurs fois par jour. Cheveux bouclés, regard vert éclairé, Alice Welter va droit au but. Ses prises de parole assumées et sans fard émeuvent la toile. Preuve que la jeune femme vise juste. Avec plus de 13 000 abonnés, L’effrontée incite à la réflexion et s’inscrit dans le paysage médiatique du Grand-Duché. Rencontre avec Alice Welter, la version Olympe de Gouges 2.0.

Texte : Geneviève Locmaria / Photos Gaël Lesure

Parlez-nous de vous.

De mère française et père luxembourgeois, j’ai grandi au Grand-Duché. J’ai étudié dans les deux systèmes. Diplômée d’une licence en information et communication de l’Université de Metz, j’ai travaillé pour un média luxembourgeois pendant deux ans. Aujourd’hui, je suis pigiste free-lance. Plus par conviction que par choix.

D’où vient le nom de votre média « L’effrontée » ?

J’ai évolué dans un milieu très masculin pour ma première expérience professionnelle. Il m’est arrivé de me rebeller face à des remarques sexistes, de ne pas me laisser faire, voire de remettre les personnes à leur place. Cela m’a valu le surnom d’effrontée ! Cet adjectif s’est donc imposé au moment de choisir le nom du média. Autant transformer ce pseudonyme, attribué au départ de façon péjorative par mon entourage professionnel, en quelque chose de positif et surtout l’assumer aux yeux de tous.

Pourquoi avoir choisi de créer ce média ?

En réaction à des attitudes sexistes que j’ai subies. En travaillant dans le monde des médias luxembourgeois, j’ai pris conscience que les femmes sont peu représentées parmi les journalistes et quasi-absentes quand on donne la parole à des spécialistes, surtout en matière d’économie, de politique ou de sport. Je me suis également rendu compte qu’il n’existait aucun média féministe dans le paysage médiatique du Grand-Duché. Le réseau social Instagram s’est imposé à moi comme un outil que je maîtrise totalement. L’effrontée est née fin novembre 2023.

Quels sont les objectifs de L’effrontée ?

“Suivre l’actualité sous un angle féministe. Mettre en évidence les inégalités que vivent les femmes au Luxembourg et ailleurs. Créer un contre-discours et briser la loi du silence.”

Alice Welter, journaliste et créatrice du compte L’effrontée sur Instagram

Quand je lis certains articles, je suis choquée du traitement biaisé de l’information. Je reçois de nombreux témoignages de femmes qui me confortent dans l’idée que les problématiques que je soulève restent bien présentes au Luxembourg. Ces messages témoignent aussi de la nécessité pour les femmes de partager et dialoguer par rapport à ce qu’elles vivent. Au début, je publiais peu. Mais dès le premier trimestre 2024, le nombre croissant de messages de remerciements de la part des femmes m’a encouragée à monter en puissance sur la fréquence de mes posts. Aujourd’hui, je publie environ trois posts ou vidéos par jour.

©Gaël Lesure – Alice Welter

Plus de 13 000 abonnés vous suivent. Quels sont les sujets qui interpellent le plus ?

Lorsque je publie des témoignages de violences gynécologiques et des posts sur les agressions dans les saunas et thermes du pays, de nombreuses femmes concernées prennent la parole. C’est beaucoup plus commun que l’on ne croit. Certaines décrivent les examens gynécologiques comme des événements traumatisants et violents. Le refus d’intervention aussi. Quant aux saunas, c’est un lieu où le harcèlement sexuel sous une forme ou une autre arrive plus fréquemment qu’on ne croit.

Comment procédez-vous ?

Je me tiens informée de tout ce qu’il se passe. Si un sujet retient mon attention, je le publie et je fais un appel à témoins. Ensuite, j’accorde une grande importance à lire, valoriser et répondre aux histoires que me confient les femmes chaque jour. C’est primordial que la confiance instaurée soit maintenue et que sur L’effrontée, les femmes se sentent suffisamment libres et entendues pour témoigner et me raconter leurs expériences. Le 3 décembre 2024, L’effrontée est prise dans une tempête médiatique avec l’affaire du présentateur Arthur.

Racontez-nous.

Sur TikTok, je regarde un court extrait d’une émission présentée par Arthur sur TF1, « À prendre ou à laisser », datant des années 2000. Sur cette vidéo, le présentateur est extrêmement proche de la candidate. Cette dernière est très mal à l’aise. Je creuse. En visionnant une quinzaine de vidéos sur le même thème sur YouTube, je réalise à quel point l’animateur a des gestes déplacés, des regards malaisants et des paroles sexistes. Pourtant, petite je regardais l’émission sans être choquée ! Là, je suis ahurie. Je décide de réaliser un montage de quatre minutes en reprenant les pires extraits. En quatre heures, le montage est terminé. Je publie.

Que s’est-il passé ensuite ?

Une semaine plus tard, le compte enregistre 40 000 vues, ce qui est beaucoup pour L’effrontée. Un abonné me demande alors de republier la vidéo sur X. Il me recontacte quelques jours plus tard pour m’informer que la vidéo fait… 3,5 millions de vues mais qu’elle a été supprimée ! Je prends peur.

Pourquoi ?

Quand j’apprends que les avocats d’Arthur portent plainte, j’efface la vidéo d’Instagram par peur d’être censurée ou de voir le compte de L’effrontée tout simplement supprimé. Pourtant, je n’ai reçu aucune demande ou contrainte en ce sens. Mais ayant mis un an à développer ce média, je ne peux pas risquer de tout perdre. Surtout, les femmes du Luxembourg comptent sur moi. Je ne peux pas les abandonner pour une vidéo.

Comment la vidéo est-elle devenue virale ?

C’est le compte sur Instagram, Cerveaux Non Disponibles, associé à une quinzaine de comptes, incluant des collectifs féministes et des personnes politiques, qui a reposté la vidéo, créant ainsi un véritable buzz. Malheureusement, la portée du message de défense des femmes est dévoyée par des messages d’injures antisémites à l’égard d’Arthur. D’ailleurs, le présentateur porte plainte fin décembre contre Meta et X. Le Pôle national de la lutte contre la haine en ligne (PNLH) ouvre une enquête pour injures publiques aggravées « par un motif discriminatoire en lien avec la religion ». Moi-même, j’ai reçu des messages antisémites.

Qu’est-ce que cette expérience vous a apporté ?

À la suite de cette vidéo, la polémique sur les agissements de l’animateur ne dégonfle pas des réseaux sociaux.

“Cela me conforte dans l’idée que les témoignages ont une importance capitale et qu’il faut libérer la parole. Que de tels agissements doivent être dénoncés.”

Alice Welter, journaliste et créatrice du compte L’effrontée sur Instagram

Surtout au Luxembourg où les choses évoluent mais tout doucement. L’époque où la télévision formatait notre vision des femmes est révolue.

Qu’attendent les femmes qui témoignent ?

Les femmes qui prennent la parole me remercient. Même si elles restent anonymes – c’est un point primordial pour moi car le pays est petit et je ne peux pas leur assurer une sécurité – le fait d’écrire ce qu’elles ont vécu les soulage. Elles participent ainsi à la cause. Elles ont l’espoir que cela va aider d’autres femmes. En relayant leur parole, j’espère faire de même. Pas simplement pour les femmes. Mais aussi pour les minorités et la communauté LGBT.

Quelle est votre définition du féministe ?

Je n’ai pas de définition mais des sources d’inspiration. Les Femen par exemple. Je serais incapable de faire comme elles, d’utiliser ma nudité comme vecteur de communication. Mais j’admire leur courage et leurs actes. Les colleuses aussi, qui tapissent les murs de messages : « Je te crois », « Nous sommes la voix de celles qui n’en ont plus ». C’est puissant.

Que faudrait-il changer au Luxembourg ?

Je fais des analyses d’articles de la presse luxembourgeoise. Certains journalistes écrivent parfois sans se rendre compte que leurs propos sont sexistes. Ils ne se posent même pas la question. Soit par indifférence, soit par manque de connaissance. Je pense que créer des formations de sensibilisation dans les rédactions serait utile. Utiliser des jeux de mots sur le corps de la femme peut être vendeur mais au détriment des femmes. Autre exemple, les recommandations du Conseil scientifique du domaine de la santé au Luxembourg qui ne sont pas systématiquement appliquées. Là encore, certains médecins devraient être formés sur le respect et les droits des femmes.

Pensez-vous faire peur ?

Même si mes propos ne font que relayer des faits et des témoignages, certains se sentent menacés. Et mon statut d’effrontée me dessert certainement dans ma recherche de piges ! Je reçois parfois des messages virulents, voire des insultes, je me suis fait traiter de « fémi-nazi ». Mais j’évite de faire attention aux commentaires. J’ai des politiciennes qui me suivent et qui m’envoient des informations. C’est réconfortant.

©Gaël Lesure – Alice Welter

Quels sont les sujets qui vous interpellent dans la législation luxembourgeoise ?

Le délai de l’IVG. Le gouvernement refuse de prolonger le délai de 12 à 14 semaines. La commission d’éthique a mis un an à délivrer un avis non concluant sur la question, arguant que cela posait des questions d’éthique en cas de découverte de maladie génétique. Autre point, les féminicides. Les chiffres vont être enfin comptabilisés mais pour autant, ces crimes ne sont toujours pas inscrits au code pénal. Il y a aussi beaucoup de classements sans suite sur les viols. Nous avons des progrès à faire !

Quel est votre souhait le plus cher ?

Que L’effrontée soit reconnue comme véritable média à part entière.

Cette interview a été initialement publiée dans le Femmes Magazine numéro 264 de mars 2025.