Par Cadfael
La « surprise » causée par la débâcle de l’armée régulière afghane et la gestion pour le moins chaotique du retrait de la puissance américaine et de ses alliés, n’en est pas une selon des sources bien informées au sein de la communauté du renseignement américain. Les grandes agences auraient partagé sensiblement les mêmes analyses et des diplomates en poste, avaient averti Washington.
Washington sur les traces de Trump
Depuis que Joe Biden avait adopté de manière quasi mécanique les engagements de Donald Trump envers les talibans, rédigés à la hâte à Doha le 29 février 2020, les signes d’une rapide prise de pouvoir par les talibans se multipliaient. Ils bénéficiaient des supports de cadres issus des 400 prisonniers de hauts rangs libérés par Trump suite aux accords de Doha, dont certains ont du sang français sur les mains. Rapidement recyclés, certains nouveaux libérés agissaient en tant que « diplomates » pour la représentation des talibans établis à Doha qui de fait, hébergeait deux ambassades, une pour l’état officiel et une autre pour les talibans. De la capitale du Qatar les hauts dignitaires talibans suivaient les choses confortablement à la TV pour ensuite, parader sur les réseaux et faire des déclarations lénifiantes.
Pour des observateurs militaires occidentaux il ne faisait aucun doute que l’armée afghane, non aguerrie, ne ferait pas long feu. Fragilisée par des origines claniques et ethniques diverses face aux menaces talibanes de s’en prendre aux familles. Beaucoup se rappelaient que de 1996 à 2001 les talibans ont gouverné le pays d’une main de fer.
Le vent change et les girouettes tournent
La décision politique prise par Biden, sans consulter les alliées ayant composé la plus grande coalition militaire de l’après-guerre, afin de rayer 20 ans de présence militaire et une centaine de milliards d’investissements a été qualifiée d’ « imbécile » par Toni Blair à la BBC. Ce retrait brutal, laissant à la vengeance des talibans, des milliers de collaborateurs de la coalition et piétinant les espoirs de paix et de progrès des populations, est néfaste pour le rétablissement en cours après les cabrioles de Trump. Des pays menacés comme Taiwan ou la Corée du Sud tireront certainement des leçons de la situation actuelle. Le prestige de Washington, première puissance militaire au monde, s’est encore fragilisé, surtout au Proche-Orient plus que jamais en ébullition. Le chant des sirènes chinoises ou russes sera d’autant plus perceptible.
Selon l’agence Reuters en date du 14 juillet le ministre de la défense anglais annonçait la volonté du Royaume Uni de travailler avec les talibans en cas de prise de pouvoir. Le 23 juillet, Lavrov, ministre des affaires étrangères russe qualifiait les talibans de « rationnels » et reprochait au gouvernement afghan en place, de ne pas négocier avec eux. La fuite rapide à l’étranger du président afghan, personnage de 72 ans qualifié d’arrogant et d’obtus dans la « Neue Zürcher Zeitung » du 20 août, semble lui donner raison.
Entretemps les médias chinois ont informé, photos à l’appui, que des contacts constructifs entre talibans et la Chine étaient pris. Les Turcs sont également sur les rangs. L’Union européenne dans sa fuite constante des responsabilités, se dit vouloir appliquer une realpolitik , sous-entendu : on met les grands principes de droit à la poubelle et pour le reste on s’arrangera. Ce coup de foudre aveugle du talibanisme est stimulé par un sous-sol afghan recelant le plus important gisement de lithium au monde, tellement nécessaire pour la propulsion électrique.
Et en prime, une aviation
Les Etats-Unis ont fait un « cadeau » colossal auquel les talibans ne pouvaient que rêver : une aviation et des places fortes militaires en parfait état. 211 unités aériennes sophistiquées dont 167 opérationnelles au 30 juin 2021 ainsi que 11 bases et complexes militaires équipés, remis au gouvernement afghan le 6 juin 2021 ainsi des milliers de tonnes de munitions et de matériels militaires hautement brisants comme des unités d’identification biométriques HIIDE et leurs stocks de données sont passés aux mains des islamistes et permettront de mieux réprimer toute forme d’opposition.
Derrière ce désastre se profile une victoire du Pakistan, de son establishment militaire et du redoutable service secret ISI. Ce pays soutenu à coups de milliards par les Etats-Unis a facilité depuis 20 ans, en duplicité exemplaire, des bases logistiques, des transits d’armes chinoises pour les talibans. De plus il offrait selon des observateurs qualifiés la voie libre à l’héroïne qu’ils produisaient. Avec ces revenus estimés à 200 millions de dollars par an ils finançaient ainsi leurs opérations grâce à plus de 500 labos de transformation sur le territoire afghan. Les Etats-Unis en détruisaient une quarantaine par mois alors qu’il suffisait de quelques jours pour les remplacer. Selon des sources américaines l’ISI formera probablement les talibans au matériel saisi à la coalition.
Et l’avenir d’un peuple ?
En dehors de faire de l’Afghanistan une plateforme pour groupes terroristes islamistes, il convient de prévoir des temps très difficiles pour les afghans surtout pour les femmes. Vengeances, assassinats, tortures ont débuté selon des correspondants européens sur place. Malgré tout une jeune génération ne se laisse pas faire, ils manifestent. Selon Reuters du 20 août une résistance armée s’organise et reprend un certain nombre de territoires. Elle trouve sa source dans la province du Pandjchir, là où il y a plus de vingt ans le commandant Massoud menait sa guerre d’abord contre les russes ensuite contre Al-Qaïda au nom d’une vision sereine de l’islam.
Ahmed Chah Massoud était un des rares chefs moudjahidines qui aurait pu réussir une unité afghane s’il n’avait été assassiné deux jours avant le 11 septembre 2001 par des islamistes ayant fait allégeance à Al-Qaïda. Des tunisiens ayant transité par Molenbeek-Bruxelles en Belgique se sont fait passer pour des journalistes. Les gardes du corps de Massoud n’ayant pas fait correctement leur travail, les tunisiens se sont fait exploser en le tuant. Passé par le lycée français de Kaboul, Massoud , cet ancien étudiant en ingénierie très doué, a pris le chemin de l’opposition armée lors du putsch communiste de 1978 soutenu par l’Union Soviétique. Aujourd’hui son fils reprend le flambeau de la résistance à la dictature. Pour ce faire il a un allié de poids l’ancien premier vice-président du gouvernement afghan Amroullah Saleh, également originaire du Pandjchir, un ancien des équipes de Massoud. Considéré comme un homme efficace et intègre par les observateurs occidentaux, des sources indiennes précisent que sa sœur aurait été torturée à mort par les talibans en 1996. De 2004 a 2010 il a restructuré les services de renseignements afghans pour démissionner suite à un attentat sanglant. Aujourd’hui lui et le fils de Massoud redébutent là où il y a 20 ans son père a été assassiné, dans les vallées du Pandjchir, berceau de la liberté. Leur but déclaré est de défendre les visions de Massoud que l’on peut lire dans sa dernière interview deux jours avant son assassinat (Le monde daté du 18 septembre 2001). Le rêve du commandant était « plus de justice telle qu’elle est enseignée par le Coran. Nous voudrions que notre pays appartienne à ses citoyens et pas uniquement à la Famille. Nous pensions que l’Islam en tant que religion devait servir à parfaire l’Etat et non pas à conserver l’ordre ancien au nom d’une tradition ancestrale. Nous voulions une république islamique tolérante, qui respecte les droits et libertés de l’homme, prônant les règles de la démocratie parce que c’est une absurdité de dire que l’islam est en contradictions avec la démocratie…. J’ai toujours été et je reste opposé à toute forme de fanatisme. » Son fils Ahmad a précisé sur France 24, lors de son passage à Paris le 24 mars dernier, que le modèle d’état idéal pour son pays, qui officiellement reconnait 14 ethnies, était la démocratie suisse.