Par Cadfael
L’agression russe de l’Ukraine représente un processus de régression au niveau des relations internationales. Le rapprochement des nations occidentales autour des valeurs communes de la démocratie et de l’état de droit est un baume sur une plaie profonde. Le réveil brutal des Européens face à l’agressivité de la Russie est difficile, mais salutaire. Un des effets secondaires de cette guerre est qu’elle ravive les réseaux de traite humaine ciblant surtout les femmes et les enfants délocalisés par la destruction lente des rêves de liberté d’un pays.
Un rapport accablant de l’ONU
Suite à la publication, par l’office de l’ONU de lutte contre la drogue et le crime, le 2 février 2021, d’un rapport global sur le trafic des êtres humains, un constat glaçant s’imposait : la pandémie avait vu une aggravation générale de la traite humaine. En 2018, on chiffrait à 50.000 personnes le nombre des victimes dans 148 pays, les chiffres réels étant bien plus importants encore.
Les femmes forment les cibles de prédilection de ces prédateurs. 50 % des victimes sont des femmes tandis qu’elles représentaient encore 70%, 15 ans auparavant. Belle victoire, peut-on penser. Mais non, en parallèle, les chiffres sont passés de 10% pour les jeunes enfants à 30% en 2018 dont les deux tiers sont des jeunes filles. Le taux des hommes adultes a quant à lui doublé pour passer à 20 % des victimes et 15 % de jeunes garçons.
L’exploitation sexuelle, un sale business en croissance
Plus de 70% de ces femmes et jeunes filles sont exploitées sexuellement, les restants sont sujets à du travail ou à des activités criminelles forcées dont la mendicité organisée, les mariages forcés, le trafic d’organes ou de bébés. On notera que selon le rapport, le taux d’enfants exploités toutes catégories confondues est nettement au-dessus de la moyenne européenne au Portugal, en France, et surtout en Italie et au Royaume-Uni.
Les trois quarts des criminels sont des hommes membres de groupes organisés, dont certains, comme ceux originaires d’Afrique de l’Ouest font également dans la drogue, le blanchiment, les arnaques financières. Dans les pays de l’Europe de l’Est, le rapport note un taux assez élevé de femmes condamnées pour ce genre d’activité. On trouve également des individus opérant en petits groupes de manière opportuniste. Les gros revenus sont contrôlés par des mafias bien structurées. Ils voient en leur victime une denrée que l’on vend ou loue à d’autres. Bien organisés, ces groupes criminels intègrent les technologies numériques et les réseaux sociaux pour la chasse et le contrôle des victimes.
La guerre en Ukraine, un accélérateur
La guerre en Ukraine a aggravé une situation déjà rendue critique par la Covid-19, en amplifiant les risques pour les victimes potentielles. Le Fond des Nations Unies pour l’enfance (Unicef) annonce ce mardi qu’un enfant quitte l’Ukraine pratiquement chaque seconde et que les mineurs représentent la moitié des exilés du pays. Dans la presse française, le sujet passe au second rang, le pays étant trop occupé avec lui-même. Il faut souligner le rôle actif depuis quelques années du Secours catholique français et les réseaux Caritas présents sur le terrain en Ukraine. Ils avaient lancé une alerte concernant le trafic d’êtres humains en conséquence directe du conflit qui à l’époque se limitait au Donbass et à la Crimée.
Aujourd’hui, des institutions internationales et ONG prennent le relais sur le terrain. En Allemagne, les médias sont extrêmement sensibles au sujet. La police fédérale allemande signale ainsi des comportements suspects au niveau de l’arrivée des trains de réfugiés en gare de Berlin. Des individus auraient distribué des sucreries aux enfants pour ensuite réagir de manière agressive au questionnement par les autorités. Ce genre de comportements semblent fréquents le long des routes de migration des réfugiés ukrainiens à tel point que la méfiance s’installe : des bus allemands venant chercher des réfugiés repartent à moitié vides. La RFA est un des pays cibles des réseaux de trafic qui agissent sur un plan européen.
Selon les médias polonais, des souteneurs allemands seraient actifs en Pologne depuis l’arrivée des premiers réfugiés. En offrant transport gratuit et logis, ils tentent d’appâter. Pour désamorcer ce genre de situation, la coopération est renforcée entre polices polonaises et allemandes. Selon un criminologue de l’université de Varsovie, quatre grands groupes maffieux sont actifs : des Turcs, des Albanais, des Bulgares et des Allemands. Le chiffre des femmes pris dans ces réseaux reste, jusqu’à aujourd’hui, inconnu.
Le gouvernement luxembourgeois peut-il mieux faire ?
Sur le site du gouvernement, on peut lire : « La traite des êtres humains est considérée comme l’une des atteintes les plus insupportables aux droits de l’homme ». D’après les statistiques de l’ONU et du Conseil de l’Europe, elle génère environ 32 milliards d’euros de chiffre d’affaires annuel et constitue la troisième forme de trafic la plus répandue au monde, après le trafic de drogues et le trafic d’armes.
Le Luxembourg n’est pas à l’abri de ce phénomène et de ce fait, les autorités luxembourgeoises se sont dotées assez tôt de tout un arsenal de lois et mesures afin de prévenir et combattre ce fléau des temps modernes. Ces dernières semaines, les représentants du gouvernement ont multiplié les interventions devant les organes de l’ONU, au conseil Benelux sur des sujets aussi sensibles que la protection des mineurs. Il reste des nuages au tableau. Le rapport « TIP Trafficking in Persons Report » du gouvernement américain, édition 2021, classe le Luxembourg dans la catégorie 1. C’est-à-dire parmi les pays qui font des efforts soutenus. Il souligne un manque de moyens significatifs.
Les trafiquants exploitent des victimes de toutes les parties du monde dans une myriade de lieux difficiles à cerner : cabarets, studios, trottoirs. Le rapport contient une mention spéciale pour les mendiants roms. Il note le peu d’entrain de la justice à poursuivre les trafiquants et souligne des peines faibles, qui en plus sont suspendues. En pointant du doigt les moyens insuffisants en matière de répression, il relève qu’en matière de prévention les efforts sont répartis sur plusieurs administrations ce qui les rend peu résilients. Il suggère de renforcer la formation des juges afin que ceux-ci perçoivent la sévérité de ce type de crime ainsi que ses conséquences sur les victimes. Aujourd’hui, renforcer la répression et la prévention en amont et sur le terrain constitue un autre volet du respect qu’on montre aux réfugiés ukrainiens, à leurs familles restées sous les bombes ou qui se battent, et indirectement aux Russes qui vont en prison pour avoir manifesté leur opposition au dictateur.