Une page se tourne chez Maison Moderne. Richard Karacian succède à Mike Koedinger en tant que CEO… 

Après avoir occupé des fonctions dans des groupes média internationaux comme Axel Springer et Altice, il relève un double défi: poursuivre la croissance de la première entreprise média indépendante au Luxembourg et la faire entrer dans une nouvelle dimension.

M. Karacian, comment envisagez-vous ce nouveau rôle qu’est celui de CEO de Maison Moderne ?

Je ne serai pas un CEO qui ne fait que de la représentation. Une de mes missions est évidemment d’être l’ambassadeur de l’entreprise à l’extérieur, mais j’ai pour habitude de m’impliquer dans les dossiers, de vouloir me situer au carrefour de l’organisation. Je m’appuie sur mon expérience pour passer d’un sujet à l’autre et j’apprécie cette gymnastique intellectuelle.

Ce mode de management est-il caractéristique de votre approche du leadership en entreprise ?

Le CEO doit en effet se placer à un niveau stratégique sans pour autant négliger les aspects opérationnels. Il doit aussi exercer une veille permanente et élaborer une vision à court et moyen termes. Je ne prétends pas disposer d’une vision à long terme de notre secteur, car la période actuelle est marquée par un tsunami technologique. Il met les métiers traditionnels des médias à rude épreuve et force les entreprises à avancer par expérimentation lorsqu’elles envisagent des projets de longue haleine.

Comment diriger Maison Moderne dans ce contexte de « tsunami » technologique ?

Deux axes structurent mon approche du monde du travail et de l’entreprise. Tout d’abord, j’accorde beaucoup d’importance au respect des collaborateurs ainsi qu’à leur développement. J’aime les gens, sinon je n’aurais pas travaillé aussi longtemps dans les RH. Ceci dit, on ne peut pas faire de business sans clients. C’est une évidence que l’on a parfois tendance à oublier au quotidien. Je crois beaucoup à la notion d’expérience du client, elle doit être réfléchie de façon professionnelle. C’est donc à l’entreprise, au fournisseur de contenus et de services que nous sommes, de trouver les bonnes marges et  de veiller en permanence  à la satisfaction du client. C’est essentiel pour moi et vital pour l’entreprise.

Et ce d’autant plus dans un paysage médiatique dont l’offre s’est élargie avec l’avènement du numérique…

Absolument. La volatilité dont les lecteurs et les clients peuvent faire preuve dans le numérique n’existe nulle part ailleurs. Si le produit n’est pas parfait, nous pouvons perdre le lecteur ou le client avec une rapidité déconcertante. Il faut donc capter leur attention et les fidéliser avec des produits qui sont excellents tant sur le plan graphique que technique, tout en gardant une mise sur le marché dans un temps adéquat par rapport à la concurrence. Il ne faut pas négliger la notion de « time to market ».

Comment peut-on résumer votre parcours ?

Je suis un « touche à tout ». Je suis juriste de formation en droit Privé et droit des Affaires. J’ai commencé ma carrière en tant que juriste-rédacteur au sein de l’association de défense des consommateurs UFC-Que Choisir. J’ai ensuite occupé des postes de Directeur des RH et Directeur juridique dans différents groupes : Future France, Axel Springer France et Altice Media. Autant de grands noms qui m’ont permis d’expérimenter des modes de management différents et complémentaires à la fois. J’ai été attiré par le poste de DRH, car je crois véritablement que la première richesse d’une entreprise est son capital humain, notion que je préfère d’ailleurs à celle de ressources humaines. J’ai récemment souhaité compléter mon cursus par un Executive MBA à HEC Paris et à la Stanford Graduate School of Business de San Francisco.

Pourquoi ?

J’ai appris beaucoup de choses sur le terrain, mais j’avais besoin d’y ajouter une certaine méthodologie. Les personnes qui ont cru en moi avaient jugé que j’avais les capacités managériales sans pour autant avoir le diplôme correspondant. Je suis donc allé chercher chez HEC Paris la certification qui me manquait tout en approfondissant mes connaissances et découvrant d’autres techniques. Cette formation très dense m’a ouvert d’autres horizons. J’évoluais dans le monde des médias en France, je connaissais aussi les médias en Belgique via mon expérience chez Roularta et l’approche allemande chez Axel Springer, mais HEC m’a permis de faire de nouvelles rencontres, notamment à l’international, dans le marketing digital, les techniques de vente, la transformation digitale des « business models »…. Le réseau formé par les anciens de cette école vous permet en outre de gagner en efficacité en obtenant rapidement des réponses à vos questions et en trouvant les interlocuteurs adaptés à vos besoins.

Cette formation reflète-t-elle une certaine forme d’exigence que vous vous fixez ?

Je suis un leader complexe, mais en effet exigeant avec moi-même, ainsi qu’avec mes collaborateurs. Je prends le temps d’écouter avant de décider, car j’accorde beaucoup d’importance à la responsabilisation des équipes, à leur point de vue. Je suis à leurs côtés et les soutiens. J’aime travailler en mode agile. En revanche, la notion de « bon » ou de « mauvais » collaborateur m’intéresse moins. Je dis souvent que l’expérience est le nom que l’on donne à ses erreurs. Je m’applique ce principe et je souhaite aussi le transmettre à mes collaborateurs. Ma seule grille de lecture pour juger de leurs performances est la façon dont ils travaillent pour comprendre leur client, et dans le cas de Paperjam, les lecteurs, et comment ils s’efforcent de les satisfaire.

Dans un marché évolutif, la thématique de la formation continue est au cœur des entreprises. Comment l’envisagez-vous ?

Il est primordial que les dirigeants d’entreprise soutiennent leurs collaborateurs dans ce domaine. Mais cette démarche doit venir des collaborateurs qui doivent se prendre en main pour mettre leurs envies en phase avec les besoins de l’entreprise. Je crois beaucoup au « Tailoring », je pense que c’est l’avenir. Les années 2000 étaient synonymes de consommation de masse. Les entreprises profitables seront celles qui seront capables de faire du sur-mesure. Ceci est valable tant pour le client externe que pour le client interne qui est le salarié de l’entreprise. Nous devons faire du sur-mesure pour garder nos clients et nos talents.

Que retenez-vous de l’expérience passée, à la fin des années 90, auprès de la start-up Progiware qui deviendra Keyrus, acteur important dans le conseil informatique et l’univers de la data ?

C’était une expérience hors du temps. Avec quelques copains, nous avons eu envie de faire partie d’une vague que l’on a aussi appelée bulle. Mais nous avons surfé de manière contrôlée avec un résultat plutôt positif. Je garde de cette période une envie de réussir, de ne pas renoncer, un apprentissage de l’humilité et un constat : il faut relativiser en se disant que si on ne s’amuse pas, cela ne vaut pas le coup.

Vous venez de quitter votre poste de directeur général du journal Libération. Que retirez-vous de cette expérience ?

Les 14 mois que j’ai passés au journal ont nécessité un investissement hors norme en raison des difficultés financières qu’il rencontre alors que, paradoxalement, la marque média est très forte. Je retiens l’implication de 130 journalistes qui travaillent avec passion. Le journal traverse néanmoins d’importantes difficultés en raison notamment de problèmes de diffusion, mais surtout d’un positionnement vis-à-vis d’un électorat de gauche qui a profondément évolué, comme l’ont montré les résultats des dernières élections. La feuille de route dont je disposais était celle menant vers l’équilibre de l’entreprise. Pour y parvenir, j’ai mis l’accent sur les coûts, tout en disposant d’une nouvelle manne de recettes par le kiosque SFR, à savoir la distribution en ligne du contenu du journal aux abonnés des services SFR en France. Une avancée majeure pour Libération.

Vous avez donc dû osciller entre coûts et recettes en permanence…

Un CEO doit constamment maîtriser ces deux piliers. Il est parfois nécessaire de mettre l’accent sur les coûts en raison de difficultés de marché, mais, en temps normal, il faut privilégier sur les recettes, tout en maîtrisant naturellement les dépenses.

Quelle était votre perception de Maison Moderne au moment de postuler en tant que CEO ?

Maison Moderne dispose d’une marque formidable et qui est son bateau amiral : Paperjam. Mon objectif premier est de sécuriser cette marque et de déterminer comment générer de nouveaux revenus à travers celle-ci. Mike Koedinger et les dirigeants de Maison Moderne ont été visionnaires, car ils ont réussi à diversifier les revenus sous cette marque en offrant, en plus du contenu, des services ciblés. C’était très intelligent. Je remarque que des médias en France exploitent cette piste, trop tardivement. La force de Maison Moderne est d’avoir misé sur la différenciation dès le départ. Il faut maintenir cet état d’esprit et créer des barrières d’entrée pour que l’environnement de Paperjam ne soit pas chahuté. Nous allons envisager la manière d’approfondir l’expérience client que nous offrons aux membres du Paperjam Club avec des services encore plus personnalisés. Je veux, par ailleurs, faire de notre agence une des trois références au Luxembourg.

Quelles sont les ambitions à l’étranger ?

Le modèle de Maison Moderne peut être exporté, car malgré sa petite taille le marché luxembourgeois est un magnifique laboratoire multiculturel et multilingue idéal pour expérimenter le comportement de consommateurs.

Quel est justement votre état d’esprit à l’égard du marché luxembourgeois ?

J’y arrive en toute humilité, une valeur à laquelle je crois fondamentalement. Elle incite à la remise en question qui est d’autant plus nécessaire dans la période que nous vivons.

Comment vont se répartir les rôles avec le fondateur de Maison Moderne, Mike Koedinger, qui devient président du conseil d’administration de l’entreprise ?

C’est un sujet que nous avons abordé dès le début. La volonté a été claire de part et d’autre : je dirigerai les équipes dès le premier jour. Mike a d’ailleurs choisi en bonne intelligence de ne plus travailler dans nos locaux. Ce qui ne veut pas dire qu’il n’y  aura pas une naturelle période de transition autour de certains dossiers. Nous nous sommes du reste réparti les rôles stratégiques.  Je m’occuperai du développement local et Mike conduira l’aventure internationale de Maison Moderne. J’ai la chance de pouvoir débuter ma mission en comptant sur le réseau de Mike, sur son soutien ainsi que celui des membres du comité de direction et du conseil d’administration. C’est un atout extraordinaire dont je compte bien profiter.

 

Crédit photo : © Eric Chenal / Maison Moderne